Le secret de la femme en bleu
?
— Neuf années, je crois.
— N’ont-elles pas réclamé courage et persévérance, sagacité… et discrétion ?
— Celle d’aujourd’hui doit avoir quelque chose d’exceptionnel.
— Que les autres n’avaient pas ? Elle n’a d’exceptionnel que de la mener sans toi ! Je m’y refuse !
Erwin pencha la tête.
— Je sais bien ce qui te chagrine, estima-t-il. Ce n’est pas d’avoir été choisi, mais que moi je ne l’aie pas été. Pourquoi ? J’ai avancé une raison. S’il en existe d’autres, le temps éclaircira ce mystère. En attendant, je te demande, moi, d’accepter ce que tu ne peux refuser, au nom même de tout ce que nous avons réussi ensemble. Tu ne peux souhaiter qu’un autre soit désigné à ta place et, si je puis dire, à notre place.
Le comte réfléchit un long moment avant d’admettre avec un pâle sourire :
— Satané Saxon ! Avec toi, c’est toujours la même chose !
— Partiras-tu vraiment tout seul ?
— Doremus ( 4 ) également.
Erwin, qui s’était levé, s’approcha de son ami.
— Mes vœux et mes pensées t’accompagneront, lui dit-il. Et puis…
— Ne pourrais-tu quand même demander une entrevue à notre seigneur ? suggéra Childebrand. Pas seulement pour toi… Vois-tu, je l’ai trouvé inquiet, hésitant et las. Et tu as toujours été…
— Je me garderai de toute initiative. L’empereur décide souverainement !… J’ai d’ailleurs l’intention de profiter de cette occasion pour faire une retraite. Je ne me suis que trop éloigné de Celui qui tient toutes les destinées entre Ses mains. Je prierai pour toi.
Childebrand, accompagné par Doremus, ainsi que par Sauvat qui commandait une petite escorte de gardes impériaux, ne mit pas moins de six jours pour relier Aix-la-Chapelle à Thionville à travers les Ardennes, encore très enneigées en ce début d’avril 805. Il avait préféré ne pas user de son droit de réquisition, mais faire halte pour les collations et les repos nocturnes dans des auberges fréquentées par le tout venant.
A son arrivée à la résidence impériale de Thionville, Childebrand fut accueilli par le comte Hainrik qui représentait le chambellan de l’empereur, par Hunault, adjoint du sénéchal, par un clerc, Romuald, pour la chancellerie ( 5 ), enfin par le commandant Médéric qui avait la garnison sous ses ordres. Ces dignitaires, accompagnés d’officiers du palais et aidés par de nombreux serviteurs, avaient été chargés par Charlemagne de préparer et d’aménager la villa ( 6 ) impériale en vue d’un séjour de longue durée que l’empereur se proposait de faire à l’automne de l’année 805.
Le missionnaire du souverain écourta la cérémonie d’accueil et se fit conduire immédiatement auprès de Régina, favorite de Charlemagne. Elle était arrivée d’Aix-la-Chapelle deux semaines et demie auparavant, en même temps que les autres membres du détachement précurseur, avec ses deux fils, Drogon, âgé de trois ans et demi, et Hugues, de dix-huit mois. Chacun savait que Charles comptait sur elle pour exercer un droit de regard sur l’organisation domestique du palais et aussi pour le tenir au courant de tout événement significatif. Elle disposait pour cela d’un personnel dévoué et notamment de messagers zélés et discrets. Sans doute avait-elle pu ainsi être la première à avertir Charlemagne du drame qui s’était produit trois jours seulement après son arrivée à la villa impériale.
Régina avait grande allure, c’était une femme de taille élevée, au port altier, un visage aux traits réguliers et au teint mat, d’une beauté sévère. Elle portait sur ses longs cheveux blond cendré un voile bleu pâle en accord avec la couleur de ses yeux. Sa tunique blanche, brodée, était serrée à la taille par une ceinture sertie de pierres précieuses. Ses gestes étaient lents et nobles. Childebrand constata une fois de plus que cette concubine avait le maintien d’une reine. Son nom la décrivait parfaitement.
Elle désigna un siège au Nibelung et s’assit elle-même.
— Je suis à la fois heureuse et malheureuse de te voir, seigneur, lui dit-elle. Oui, malheureuse, parce que je n’aurais jamais pensé, quand nous nous sommes rencontrés pour la dernière fois à Aix, lors de la cérémonie qui marqua la victoire définitive de nos armes sur les Avars, que je te retrouverais en une aussi douloureuse circonstance… Cependant je suis heureuse que notre
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