Le secret de la femme en bleu
voix.
— Je ne me suis pas trouvé la moindre excuse.
— Comment cela ?
— D’abord pour Lithaire. Par le Ciel, je n’aurais jamais dû lui permettre d’entreprendre cette traque, sachant à quels ennemis rusés et cruels nous avons affaire… non, jamais ! Et, l’ayant autorisée, comment ai-je pu me contenter d’une protection aussi déplorable et inefficace – l’événement ne l’a que trop prouvé –, mettant ainsi sa vie en danger ? Car elle n’a dû qu’à un miracle de s’en tirer, et sans une égratignure.
— A un miracle ? Et peut-être aussi à son habileté, non ?
— Sans doute ! Mais cela diminue-t-il ma responsabilité ? Ainsi, à peine le comte Childebrand était-il parti pour Aix en m’accordant sa confiance que je commettais une faute, oui, une lourde faute !
Doremus but une gorgée d’eau.
— Quant à cette expédition que j’ai cru indispensable d’entreprendre sans tarder…
— Mais il me semble qu’elle vous a permis de recueillir des renseignements de première importance : sur le nombre de ces Aquitains, ou soi-disant tels, sur leurs équipements, sur la date à laquelle certains d’entre eux sont arrivés dans le pays, ce qui, d’ailleurs, nous autorise à penser qu’ils ont pu prendre une part active aux forfaits et aux crimes, ceux de la résidence comme ceux du bois de Saint-Martin. Nous en savons un peu plus sur leurs allées et venues, sur ce Fabian qui est peut-être leur complice. Et n’oublions pas cette femme en bleu, dont le rôle n’est sûrement pas négligeable ! Ce n’est pas rien que tout cela, me semble-t-il.
— Certes ce n’est pas rien, répéta Doremus. Aussi bien n’est-ce pas l’expédition à la ferme, elle-même, qui est en cause, c’est…
L’ancien rebelle hésita, cherchant ses mots, avant de poursuivre :
— N’eût-il pas mieux valu, au lieu d’autoriser Lithaire à donner la chasse à ce Fabian – pour aboutir à quoi, grands dieux ? – ce qui a sûrement précipité le départ de ces… Aquitains, placer la ferme sous surveillance, pister ceux qui la quittaient périodiquement, afin de découvrir où ils se rendaient ? De toute évidence, cette ferme n’était qu’un relais…
— … ou un leurre, murmura le Saxon.
— En tout cas, leur quartier général doit être ailleurs. Mais où ? C’est cela qu’il importait, en tout premier lieu, de trouver. Et maintenant…
L’ancien rebelle poussa un soupir.
— … maintenant la piste est perdue ! Voici donc où j’ai conduit l’enquête : à une impasse !
— Et ce que cette fermière vous a appris ?
— Quelques deniers, tôt ou tard, lui auraient rafraîchi la mémoire et desserré les lèvres ! Cela pouvait attendre.
— Il se peut.
— Encore heureux que – grâce à Dieu ! – mes fautes n’aient pas coûté la vie à l’un, ou plutôt à l’une d’entre nous !
Doremus but à nouveau une gorgée d’eau.
— Vois-tu, seigneur, ce qui m’inquiète davantage encore que les erreurs déjà commises, c’est la crainte qu’au poste de responsabilité où la Providence m’a provisoirement placé, je n’en commette d’autres plus graves encore.
Le Saxon jeta sur son ancien assistant un regard pénétrant.
— Crois-tu, Doremus, t’être exprimé en toute humilité ? dit-il doucement.
— En toute humilité ? Je le crois.
— Non, en vérité ! Je dirai plutôt avec une certaine suffisance et même avec fatuité !
— Comment cela, seigneur ?
— As-tu seulement réfléchi à ce que signifient les reproches que tu t’es adressés, d’une façon si déclamatoire, pour avoir manqué de discernement et de clairvoyance, pour avoir mis en péril la vie d’autrui, et cela parce que tu n’aurais pas placé à temps des suspects sous surveillance, parce que Lithaire a été agressée ? Y as-tu vraiment réfléchi ? Mais, Doremus, jugés à cette aune, tous ceux qui commandent et gouvernent par ce monde ne mériteraient-ils pas des reproches mille fois plus véhéments, et fondés, pour avoir arrêté, souvent à juste titre, parfois sous la contrainte, des décisions qui ont pu se révéler hasardeuses, périlleuses, pour avoir engagé des armées et des peuples dans des entreprises meurtrières ? N’est-ce pas alors à bon droit que je puis t’accuser de vanité, oui, d’orgueil, quand tu te réclames d’une perfection qui ne peut être le fait de personne, pas même des plus grands ?
— Je n’ai jamais pensé que mes regrets et
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