Le secret de la femme en bleu
alla les cacher avec la même prestesse que les précédents.
— Pour un fourniment, ils avaient un bel et bon fourniment, souligna-t-elle : coutelas, épées, arcs et flèches, broignes, et même des haches. Que je te raconte comment ils étaient habillés avant que tu le demandes. Bien, je dirai ; mais pas comme par chez nous… des gens du Sud, c’est certain… D’ailleurs, quand ils parlaient entre eux je comprenais rien.
— Un peu comme des moines ou des prêtres ?
— Un peu… Mais j’y connais rien !
— Leur est-il arrivé de partir tous ensemble pour une journée et même plus ? demanda le frère Antoine.
— Une ou deux fois… Que je me rappelle… Oui, une fois une dizaine de jours après l’arrivée des premiers…
— A peu près le jour du printemps ?
— Oui, à peu près. Et aussi, un ou deux jours plus tard, peut-être trois.
Le moine regarda ses amis d’un air entendu.
— Cela correspond assez bien ! fit-il remarquer.
— Est-ce tout ? dit le Goupil.
— Non ! répondit-elle. Mais ce que je peux ajouter vaut encore un peu de…
Elle fit de nouveau le geste par lequel elle avait déjà réclamé de l’argent. Doremus, qui était gagné par la colère, se sentit partagé : fallait-il payer ou la contraindre ? S’étant repris, il pencha pour la première solution.
— Oui, il s’agit d’une dame en bleu, indiqua-t-elle après avoir obtenu une ultime rétribution. Une femme de haute taille, toujours vêtue de sombre avec un voile couvrant sa chevelure blonde, un voile qui lui masquait le visage sauf ses yeux… noirs comme la nuit… Elle venait et repartait, à cheval, accompagnée parfois par un homme que je n’ai pas vu, car il restait en bordure des champs à la limite de la forêt. Elle n’est jamais restée longtemps. Juste le temps de parler avec ceux qui se trouvaient ici… comme pour leur donner des ordres… Toujours à voix basse, et sur un ton… Elle se tenait comme ça, droite, orgueilleuse…
— Elle est venue souvent ?
— Pas mal, au début. Après, tous les quatre ou cinq jours, jusqu’à ce matin. Elle est arrivée, plus agitée que d’habitude, très pressée. Si j’ai bien compris, elle a ordonné à ceux qui étaient là, six en tout, de décamper, ce que tous ont fait après avoir rassemblé leur fourniment et m’avoir payé largement. Ils sont donc partis à cheval, et au galop, à la mi-journée par la sente menant directement vers le sud.
— La femme en bleu était-elle accompagnée ? demanda Timothée.
— Je le crois. Je n’en suis pas sûre.
— Un dernier mot : avant de partir, ne t’ont-ils pas ordonné de ne pas parler de leur présence, de ce qu’ils ont pu faire par ici ? Ne t’ont-ils pas menacée du pire si tu ne te taisais pas ?
— Non, en vérité ! Et puis ils étaient pressés… Doit-on craindre ceux qui fuient ?
— Certainement moins que ceux qui arrivent, souligna l’ancien rebelle avec un air sévère. Cependant, ils peuvent revenir.
— J’espère que non, dit la fermière en frissonnant.
— Je t’attendais, dit Erwin à son ancien assistant, en l’accueillant dans la vaste cellule, aménagée en scriptorium, qu’il occupait à l’abbaye de Gorze.
Il désigna un siège.
— Prends place !
Le Saxon s’assit lui-même devant une table sur laquelle un frère convers déposa une cruche d’eau fraîche, des gobelets, du pain et du sel. L’abbé coupa une tranche de ce pain qu’il saupoudra et il en offrit la moitié à son visiteur. Puis ils burent une gorgée d’eau. Ce rite de bienvenue accompli, Erwin, avec un léger sourire, penchant un peu la tête, demanda :
— Alors, Doremus, un problème ?
Comme celui-ci paraissait embarrassé et hésitant, le Saxon lui indiqua, pour l’encourager, que le frère Antoine lui avait fait en fin de matinée le récit des événements qui s’étaient déroulés la veille non loin de Yutz, puis à la ferme près la fontaine à l’orme.
— Je ne sais quel jugement le frère Antoine a porté sur tout cela… commença l’ancien rebelle.
— Aucun jugement ! intervint Erwin. Juste ce qui s’est passé, comme vous étiez convenus qu’il le rapporterait, je crois.
— En effet, seigneur. Mais si le frère Antoine s’est gardé de toute appréciation – je reconnais bien là son amitié –, en ce qui me concerne… Je n’ai guère dormi cette nuit et je n’ai cessé d’y penser sur le chemin qui me conduisait à ce monastère.
Doremus baissa la
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