Le secret de la femme en bleu
griefs pussent mettre en cause un autre que moi-même, affirma Doremus. Non, jamais !
— Et pourtant…
L’abbé saxon se recueillit un instant avant de poursuivre :
— Personne d’autre que toi-même, vraiment ? Mais qui a pris, en toute connaissance de cause et d’effet, la décision d’accepter le concours que Lithaire désirait apporter à la mission conduite par le comte Childebrand ? Qui l’a autorisée à l’accompagner jusqu’en ce pays ? Qui a demandé à Timothée de pourvoir, sur place, à son hébergement, de lui fournir tout ce qui serait utile à ses entreprises… et aussi de veiller sur elle ? Qui donc, Doremus ?
Comme son ancien assistant, l’air contrit, ne répondait pas, le Saxon précisa :
— Ce que tu l’as amenée à faire, et qu’elle a fait à son avantage, n’a jamais été que la conséquence du parti que j’avais arrêté ! Les dangers qu’elle a encourus, aussi !
Erwin ajouta, à mi-voix :
— Une responsabilité entière, inéluctable ! Ne suis-je pas censé ne jouer aucun rôle dans l’enquête ? Je l’ai donc prise sans rien d’autre qui m’y autorise que la bienveillance du prince, celle qu’il m’a montrée jusqu’ici.
— Tu sais bien, seigneur, qu’elle t’est acquise.
— Sans doute… Quant à ces prétendus Aquitains, peux-tu soutenir que c’est la poursuite lancée contre Fabian qui les a décidés à quitter précipitamment cette ferme ?
— Il y a quand même de fortes chances pour que…
— Des chances ? Peut-être. Une certitude ?
Le Saxon prit un air sceptique.
— Je suis loin de le croire… « On » aurait dû prendre plus tôt, as-tu dit, la décision de pister certains d’entre eux dans l’espoir qu’ainsi on finirait par découvrir leur repaire. Dis-moi, qui est cet « on » Veux-tu me rappeler depuis combien de jours tu assumes les responsabilités dont t’a chargé le comte Childebrand ? Voyons… Qui donc les exerçait auparavant ?
L’ancien rebelle baissa le nez.
— Tu as affirmé, rappela Erwin, que la « confession » de cette fermière pouvait attendre. Est-ce si évident ? Est-il impossible que quelques-uns de ses anciens hôtes, regrettant d’avoir laissé en vie cette femme si bavarde, prête à tout pour quelques deniers, reviennent lui clore définitivement les lèvres ou paient des sicaires à cette fin ? Non, n’est-ce pas ! Alors ? Ne fut-ce pas, contrairement à ce que tu viens d’avancer, une décision avisée que de recueillir des renseignements au plus vite, auprès de quelqu’un dont la vie ne tient peut-être qu’à un fil ?
L’abbé saxon jeta sur Doremus un regard plus amène.
— Enfin cette piste prétendument interrompue… perdue… dis-tu. Homme de peu de foi ! Ou je me trompe fort, ou ces bandits, qui sont loin d’avoir achevé leur triste besogne, feront bientôt parler d’eux à nouveau…
— Que veux-tu dire, seigneur ?
Erwin sourit et répondit :
— Celui qui donne du grain à l’homme qui a faim lui rend un grand service, celui qui lui apprend à cultiver un champ lui en rend un plus grand encore. Il paraît que cet adage provient de l’Orient le plus lointain. Fais-en aujourd’hui ton profit ! Entends ce que j’ai voulu dire !
Après avoir médité un instant, le regard au loin comme il le faisait souvent, le Saxon souligna :
— Je sais bien que les moyens dont vous disposez, le frère Antoine, Timothée et toi-même, sont insuffisants, que ceux sur lesquels vous devriez pouvoir compter sont si peu sûrs que mieux vaut s’en passer, et même s’en méfier. Mais, si j’ai bien compté, à une dizaine vous devriez pouvoir faire face… c’est-à-dire, en tout premier lieu, veiller à la sûreté de ceux dont vous devez assurer la garde.
L’abbé Erwin se leva, imité par son visiteur.
— Et puis, ajouta-t-il, n’oublions pas ce singulier vicaire du sénéchal, ce Hunault. Je doute, vois-tu, que Fabian, aux talents si divers, revienne à Thionville, après le guet-apens qu’il a évidemment préparé. A défaut de le tenir, pour le moment en tout cas, tu pourras toujours confesser celui qui, lui, est à portée de main.
Les accents de chants liturgiques parvinrent alors jusqu’à l’abbé et à son assistant. La cloche de l’abbaye retentit.
— Voici none ( 27 ), dit Erwin. Mon fils, viens prier avec moi, allons purifier nos esprits et nos âmes !
Dès qu’il fut de retour à Thionville, Doremus dut constater que l’absence prolongée de Fabian
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