Le secret de la femme en bleu
Goupil.
Quatre des serviteurs du comte coupèrent et taillèrent à la hache des branches de frêne pour en faire des brancards qu’ils passèrent dans les anneaux des coffres de façon à les transporter aisément. Tous alors se dirigèrent vers la résidence.
Ils parvinrent d’abord à un champ que sarclaient des esclaves, hommes et femmes, lesquels se redressèrent pour regarder, mi-étonnés, mi-effrayés, cette troupe qui progressait lentement vers eux. Celui qui les commandait, après avoir observé les arrivants, sauta sur son cheval et partit au galop vers l’aval.
Quand le chambrier, les assistants des missi et Walfred, ainsi que leur escorte, furent à proximité de l’habitation principale, ils aperçurent un homme, vêtu à la manière des Francs, qui se tenait devant la porte, poings sur les hanches, tourné vers ceux qui s’avançaient.
Le comte Hainrik s’en approcha et lui fit savoir qui il était, nomma ceux qui l’accompagnaient en précisant leur rang et leur fonction.
— Je te connais, comte Hainrik, répondit l’homme, et tu sais bien que je suis le baron Rupert, maître de ce domaine. Soyez les bienvenus… encore que je m’étonne de cette visite inopinée… sans même que vous vous soyez fait annoncer.
Tous mirent pied à terre.
— Il nous faut donc t’indiquer, reprit le chambrier, ce qui nous a conduits ici… En nous fondant sur certains renseignements, nous sommes venus chercher, et nous avons, en effet, trouvé les deux coffres que voici !
Il désigna les caisses que les serviteurs avaient posées à terre. Le maître du domaine fronça les sourcils.
— Trouvés où ? s’enquit-il.
— Au fond d’une grange à demi effondrée, située à quelque distance d’ici, en amont, sur le ruisseau.
— La grange aux prêles, sans nul doute, donc sur mes terres. Voilà, en vérité, qui est de plus en plus singulier ! Ainsi il ne s’agit plus d’une visite, mais d’une inquisition ? Et cela sur mon domaine, celui d’une famille apparentée au souverain, dois-je te le remettre en mémoire, cela sans m’en toucher mot ? Qu’est-ce que cela signifie ?
Rupert jeta un coup d’œil sur les caisses.
— S’agit-il de celles qui ont été volées lors de ce coup de main sanglant en la résidence impériale ? Oui, la rumeur de ces forfaits est parvenue jusqu’ici. Alors, ces coffres ?…
— Il s’agit bien d’eux, confirma Hainrik.
— C’est la première fois que j’en vois de semblables, donc que je vois ceux-ci. Mais, par Dieu…
Il fixa tour à tour avec un air courroucé ceux qui se tenaient devant lui avant de s’écrier :
— Ainsi, comte Hainrik, non seulement tu as, de propos délibéré, mené des investigations chez moi sans mon autorisation et à mon insu, mais encore celles-ci ont trait à des faits abominables. Comment dois-je le prendre ? Ah, tout représentant du grand chambellan que tu sois, tu peux être certain que ton initiative insultante ne restera pas sans suite. Et j’ai la possibilité de me faire entendre du prince lui-même ! N’en doute pas !
— Nous n’en doutons pas, intervint Timothée calmement. Je comprends très bien ce que notre démarche peut avoir de désagréable pour toi.
— Qui parle ainsi ? jeta le maître du domaine avec hauteur.
— Dois-je donc, moi, te rappeler mon nom ? répliqua le Grec sèchement. Je suis l’assistant du comte Childebrand, missus dominicus, un Nibelung proche, très proche parent de Charles le Grand, n’est-ce pas… J’ai autorité pour parler et agir en son nom, que cela soit bien clair ! Cependant, personne parmi nous n’avait la moindre intention de te dissimuler quoi que ce soit. La preuve, c’est que nous sommes venus immédiatement ici pour te tenir au courant !
Le Goupil regarda Rupert avec un léger sourire.
— Pouvons-nous maintenant reprendre tout cela ? demanda-t-il doucement.
Le baron grogna un acquiescement.
— Puisque tu nous as dit apercevoir ces coffres pour la première fois, j’en déduis que tu ne sais rien sur le moment où ils ont été déposés en cette grange, sur les raisons de cet acte, sur ceux qui l’ont fait ? suggéra le Grec.
— Rien en effet ! D’ailleurs, aucun de ceux qui sont à l’ouvrage sur mes terres n’a signalé quoi que ce soit de suspect, indiqua Rupert, quelque peu apaisé.
— Je le crois sans peine. Sinon tu te serais rendu toi-même sur place aussitôt.
— Cela ne signifie pas, cependant, qu’il ne s’y soit rien
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