Le secret de la femme en bleu
racontars et calomnies. Toute la ville fut bientôt en effervescence.
Doremus, en compagnie de deux fidèles domestiques, anciens rebelles comme lui, avait devancé Childebrand et son étrange suite. Les trois hommes s’étaient vêtus comme ces colporteurs qui allaient de bourg en village pour vendre des objets de ménage, des condiments et du sel. Afin de mieux dissimuler son identité, le « marquis des clairières » avait posé sur son crâne chauve une perruque qu’il avait coiffée d’un méchant bonnet.
A l’entrée de Metz ils s’arrêtèrent dans une auberge, à l’enseigne du « Faisan doré », dans la cour de laquelle se trouvaient déjà des chariots et des charrettes, des ânes et des mulets bâtés, ainsi que des chevaux à l’attache. Ils confièrent leurs montures aux palefreniers et partirent à pied pour le centre de la ville. Ils se mêlèrent à la foule qu’ils parcoururent en tous sens. Doremus avait adopté l’allure et le langage de ces besogneux aigris qui « en savent long », distillent à qui veut les entendre des « révélations » venimeuses, colporteurs de médisances qu’ils accompagnent de regards entendus et ponctuent de ricanements. Ses deux aides, l’un dans le genre jovial, l’autre dans le rôle de celui dont on force la discrétion, n’avaient pas non plus perdu leur temps.
Lorsque les curieux commencèrent à se disperser, Doremus et ses deux complices se retrouvèrent près de l’église Sainte-Ségolène et ils commençaient à échanger leurs impressions quand subitement l’assistant du missus se tut, en invitant d’un geste ses aides à en faire autant. Il se dissimula sous un porche et désigna deux hommes qui passaient non loin de là, des personnages d’un rang certain à en juger par leurs vêtements.
— Suivez-les ! ordonna Doremus à voix basse. Surtout, ne vous faites pas remarquer ! Surtout pas, vous m’entendez ! Mieux vaudrait que, par excès de prudence, vous les perdiez de vue ! Observez-les le plus longtemps possible ! Je vous attendrai à l’auberge.
En fin de soirée, des curieux, qui n’avaient cessé de traîner au centre de la ville en quête de nouvelles propres à alimenter leurs commérages, virent leur attente comblée quand apparut au galop un détachement de gardes impériaux qui encadraient le baron Rupert et franchit à vive allure la porte Scarponoise vers la résidence épiscopale.
Timothée et ses deux aides avaient quitté Thionville sur un chariot que le Grec avait tenu à conduire lui-même. Le véhicule appartenait aux services de l’intendance impériale et avait été transformé pour la circonstance en un « carpentum » semblable à ceux qu’utilisaient les négociants cossus. Il était tiré par deux chevaux dont la vigueur était décuplée par l’utilisation de colliers permettant notamment un attelage de front, innovation considérable. Il était recouvert d’une toile forte fixée sur les flancs et à l’arrière. Sur son plancher étaient disposés des bancs, des caisses, des tonneaux et des jarres bien arrimés, de quoi assurer un transport sans anicroche même sur de longues distances. Il revenait, à vide, de la résidence impériale où il avait apporté des approvisionnements. Tel était en tout cas la version des faits que soutiendraient le Goupil et ses commis.
Timothée avait adopté, en l’occurrence, la vêture et l’allure qui convenaient à un marchand fortuné et âpre au gain : une tunique d’excellente qualité mais simple, avec un pectoral et un bonnet indiquant son rang dans sa guilde. Les aides avaient revêtu des tenues en bure de bonne façon. Le Grec, sur ordre formel d’Erwin, avait sacrifié son collier de barbe. Il portait sans cesse sa main droite à ses joues et à son menton, à présent glabres, en poussant de grands soupirs.
Le Saxon avait fait savoir à son assistant que des indices de quelque importance concernant le vol des coffres pourraient être recueillis à l’« Auberge du Nautonier joyeux », située non loin d’un bac sur la Moselle, au carrefour de la route reliant Thionville à Metz, sur la rive gauche de la rivière, et de la voie s’engageant par la vallée de l’Orne en direction de Verdun.
De fait, cette auberge était l’un des points de rencontre les plus fréquentés de la région. Sa table et son hospitalité étaient renommées, et surtout on pouvait y recueillir de la bouche même de voyageurs venant de tous les pays alentour, et
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