Le secret de la femme en bleu
doute, après l’avoir repris, s’est-il endormi, lui aussi, mais pour ne plus jamais se réveiller ! Est-ce vraiment tout maintenant ? Sommes-nous arrivés au bout de l’infamie ?
L’homme enfouit son visage dans ses mains et demeura ainsi, abattu, un long moment.
— Il nous faut pourtant continuer, intervint Erwin calmement. Médéric se redressa et poussa un profond soupir.
— Fais bien attention à ce que je vais maintenant te demander et pèse bien ta réponse, poursuivit le Saxon. Est-il impossible que des tueurs à gages se soient dissimulés dans les chariots à victuailles, qui, si je t’ai bien entendu, étaient à l’arrêt non loin de l’appartement occupé par Rikhilde ?
— Tu dois bien penser, mon père, que cette question n’a pas cessé de me tourmenter… d’autant que j’ai été obligé, que je suis obligé de répondre : non, ce n’est pas impossible… car les denrées transportées par ces chariots étaient protégées par des toiles sous lesquelles pouvaient se cacher des intrus.
— Crois-tu alors que, dans le tohu-bohu, ils aient pu pénétrer chez Rikhilde, commettre les crimes que l’on sait, et emporter leur butin ?
— Les crimes… hélas !… mais emporter leur butin, par la cour intérieure, je ne le pense pas.
— Alors en passant par la cour d’honneur ?
— Il est vrai qu’il ne devait pas y rester grand monde… et puis, avec les effets de ce vin…
Childebrand s’était levé à nouveau et, pour tenter d’apaiser sa colère, faisait les cent pas dans la salle.
— Une dernière question, dit l’abbé saxon. Quels étaient les donateurs et organisateurs de ce festin fatal ?
— Les services du sénéchal, et plus particulièrement Fabian. Étant donné leurs attributions, cela parut généreux mais… presque normal, en quelque sorte, répondit Médéric.
— Le sénéchal… Fabian… et normal en plus ! marmonna Childebrand.
Erwin regarda le chef de la milice qui paraissait au bord de l’épuisement. Il se tourna vers le comte pour lui demander s’il avait encore des questions à poser. D’un signe de la main, celui-ci répondit par la négative. Le Saxon, alors, rappela les gardes et leur ordonna de ramener Médéric en sa chambre.
— Qu’il y demeure aux arrêts, ajouta le comte.
Après qu’ils eurent quitté la pièce, Childebrand se tourna vers le Saxon avec, dans son regard et dans son attitude, un reste d’irritation.
— En vérité, murmura-t-il, je me demande encore, après tant d’années, de quoi tu es pétri ! Comment peut-on rester insensible en entendant de tels aveux, de telles abominations ?
— Quand on s’attend à les entendre, dit Erwin tranquillement. Pas tous les détails, sans doute, mais l’essentiel.
Cette réponse laissa Childebrand perplexe.
— Et tu t’y attendais ?
— Ces aveux achèvent, en tout cas, de nous éclairer sur la manière, rusée et efficace, hélas, dont a été monté le coup de main, sur son moment exact et sur son déroulement, assez éloigné de ce que les premiers témoignages avaient fait supposer. Mais ils ne nous renseignent guère, il est vrai, sur ceux qui l’ont ourdi ni sur ceux qui l’ont perpétré.
— A quoi cela nous conduit-il, s’il te plaît ?
— Assurément à examiner toute l’affaire avec d’autres yeux, à mener les recherches différemment, à découvrir d’autres pistes…
Le Saxon adressa un sourire à Childebrand.
— … Oui, à comprendre quelle est la véritable énigme, ami ! ajouta-t-il.
— Ah, seigneur, te voici enfin ! s’écria le frère Antoine en voyant l’abbé saxon entrer dans la chambre où il était à l’affût. Inimaginable !… Impossible !… Dois-je en croire mes yeux ? Jamais, au grand jamais, je n’aurais cru revoir cette canaille et là, juste là-devant ! Ah ! par Dieu…
— Si tu t’expliquais ? dit Erwin.
— Oui… Bien sûr… Cet après-midi, j’avais repris le guet. Et qui vois-je arriver devant le portail de Sainte-Glossinde ? Je ne parviens pas à y croire. Et pourtant les traits de son visage sont restés gravés là (il se frappa le front) dans ma tête… Qui, seigneur ? Magne ! Oui, cette canaille aquitaine qui m’a égaré dans le marécage de la Brenne jusqu’à cette rive où m’est arrivé… Ah ! Dieu, j’en frémis encore !
Un large sourire éclaira le visage du Saxon.
— C’est mieux que tout ce que j’avais espéré, affirma-t-il. Tiens : verse-moi donc un peu d’hydromel et
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