Le secret de la femme en bleu
oral qu’Erwin lui avait confié, ce qui plongea Childebrand dans une nouvelle réflexion.
Devançant une question que celui-ci n’avait pas posée, le diacre précisa que le Saxon était, « comme à l’accoutumée, parfaitement maître de lui ».
— Bien entendu… cela va sans dire… oui, bien sûr… murmura le Nibelung en caressant avec le pouce sa courte moustache poivre et sel.
Brusquement, il se leva.
— Étrange, dit-il, mais quelle stratégie ne comporte aucun risque ?
Une heure après étaient réunis autour de lui Hermant, Doremus, Sauvat, ainsi que Timothée et Lithaire que Dodon était allé prévenir à Yutz et qui avaient accouru. Childebrand s’attendait que ses ordres provoquent de l’étonnement ; ils suscitèrent une détermination allègre : on allait enfin cesser de subir.
A la suite de ce conseil de guerre, Hermant ordonna à une vingtaine de gardes de se tenir prêts avec un équipement léger : glaive court, arc et carquois. Leurs épées, broignes et écus seraient acheminés dans un fourgon transportant également quelques vivres. Il en répartit d’autres en quatre groupes : deux d’entre eux demeureraient dans le grand vestibule, un troisième se rendrait devant la chancellerie, un quatrième devant la prison. Sur un signal, les hommes des deux premiers groupes pénétrèrent dans les locaux où se trouvaient les services du sénéchal et dans ceux du chambellan. Ils annoncèrent à Hunault et au comte Hainrik que, sur ordre du missus dominicus, ils allaient être conduits à Metz où ils seraient plus en sécurité qu’à Thionville. Il en fut de même pour Romuald et pour Médéric ainsi que pour ses deux adjoints.
Ces mesures provoquèrent stupeur, indignation et, comme prévu, de vives protestations que ces dignitaires exprimèrent sans retenue, du moins tant qu’ils purent le faire avec comme seuls témoins Hermant et ses hommes. Mais quand ils se retrouvèrent rassemblés devant le portail de la grande antichambre où les attendaient leur escorte et leurs montures, ils s’efforcèrent de faire bonne figure ; ils ne manifestèrent plus leur réprobation et leur irritation que par des attitudes hautaines et dédaigneuses, afin de ne pas donner à la foule de domestiques, d’artisans, d’hommes et femmes de peine, qui assistaient à la formation du convoi, l’occasion de clabauderies et de ragots.
Le missus dominicus apparut bientôt sur le seuil du palais, se mit en selle et, suivi de son écuyer qui portait son enseigne ainsi que de Sauvat, il prit la tête du cortège qui traversa lentement la résidence sous les yeux des badauds ébahis, gagna la porte du nord, franchit la Moselle et prit à Yutz la route de Metz.
Cette ville, l’une des plus peuplées de la Francie avec ses quinze mille habitants, l’une des plus actives aussi au carrefour de grandes routes, était fréquemment parcourue par des convois de marchands, par des détachements militaires, par des dignitaires en déplacement avec leur train ; son marché attirait toutes sortes de gens, venus pour vendre ou acheter, faire bombance et trouver de faciles aventures, ainsi que des saltimbanques… et des tire-laine : c’était, de l’aube au crépuscule, des mouvements, une agitation incessants. Les Messins ne s’émouvaient donc pas à la légère. Cependant, dès que le cortège conduit par le comte Childebrand eut franchi le pont sur la Seille qui permettait d’accéder au centre de la cité, des curieux en grand nombre accoururent sur son passage, prévenus par de mystérieuses voies. Bientôt circulèrent parmi eux cent rumeurs : on ne manqua pas de mettre l’arrivée de grands personnages, dûment encadrés, en rapport avec les événements qui avaient ensanglanté la résidence impériale, on parla aussi à mots couverts de complot, de conspiration, mettant en cause ces dignitaires.
La cohue, de plus en plus dense et turbulente, fut arrêtée, malgré ses protestations, à la porte du quartier canonial par un cordon de troupes. Le missus dominicus y fut accueilli par le chorévêque Magulphe et son avoué Déodat. Hunault, le comte Hainrik, Romuald, Médéric et ses deux adjoints furent guidés vers un bâtiment dépendant de la résidence épiscopale pour y être hébergés dans des logis rigoureusement surveillés. Quand on l’apprit par des indiscrétions rapidement répandues dans la foule, chacun vit dans une telle mesure la confirmation de ce qui avait pu passer jusque-là pour
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