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Le secret des enfants rouges

Le secret des enfants rouges

Titel: Le secret des enfants rouges Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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entretenu avec elle en compagnie de Kenji et d’Alexis Wallers, Gabrielle du Houssoye serrait contre son sein un cahier d’écolier qu’elle posa sur un guéridon.
    — J’étais sûre que votre ami ou vous-même ne tarderiez pas, monsieur Legris.
    Elle lui désigna une ottomane et s’installa face à lui.
    — L’inspecteur m’a avisée de votre blessure. Comment allez-vous ?
    — Rien de grave. La balle n’a provoqué qu’une méchante entaille.
    Il apprécia sa robe bleu lavande assez échancrée qui mettait en valeur son teint mat et ses cheveux sombres tressés en macarons.
    — Ce pauvre inspecteur… Il m’a présenté ce qui subsiste de la coupe, un maigre butin qui ne satisfait pas son appétit de limier.
    — Et le vôtre, monsieur Legris ?
    — J’ai sur la police un atout non négligeable. Je sais à quoi ressemblait l’objet, je l’ai vu le jour où j’ai failli rendre l’âme. L’inconnue du problème se résume a trois mots : que représentait-il ?
    — La possibilité pour mon mari d’acquérir renommée et peut-être fortune. Mais avant tout, celle de :rompre l’ennui dans lequel il s’embourbait, répondit Gabrielle du Houssoye.
    — J’ai peine à concevoir que ce bol grossier taillé à partir d’un crâne…
    — Permettez-moi de vous infliger un récit circonstancié qui vous aidera à comprendre. Au début de notre vie commune, Antoine se passionnait déjà pour les théories transformistes. Il avait séjourné plusieurs fois en Afrique centrale et occidentale pour y étudier les gorilles et les chimpanzés qui, selon Darwin, peuvent prétendre au titre de lointains ancêtres de l’humanité. Vous connaissez cette hypothèse ?
    — Vaguement, le singe descend de l’arbre et l’homme descend du singe.
    Gabrielle du Houssoye daigna sourire.
    — On peut en effet la résumer ainsi. Antoine s’intéressait à d’autres espèces de primates. En raison de sa spécialisation dans l’étude des orangs-outans – en malais, ce mot signifie homme des bois – il se rendit plusieurs fois à Java, Bornéo et Sumatra. Lors d’un de ses séjours à Java, à l’automne 1889, il entendit parler d’un dénommé Eugène Dubois, ancien lecteur d’anatomie à l’université d’Amsterdam, qui avait entrepris des fouilles paléontologiques, et venait de déterrer à Wadjak un crâne très différent par sa structure de celui des habitants contemporains. Antoine ne put en apprendre davantage, mais, de retour à Paris, il relut très attentivement les écrits du professeur de zoologie allemand Ernst Haeckel, qui affirmait l’existence d’un intermédiaire morphologique entre les singes supérieurs et l’Homme. Haeckel avait même baptisé cet intermédiaire « pithécanthrope », c’est-à-dire singe-homme. Me suivez-vous ?
    — Jusque-là, oui. Mais pourquoi fouiller en Asie plutôt qu’en Afrique ?
    — Ernst Haeckel avait été frappé par la ressemblance stupéfiante entre les embryons humains et ceux des gibbons, or, les Indes néerlandaises sont la patrie des gibbons. Eugène Dubois adhérait aux spéculations de Haeckel, il décida donc de demander sa mutation aux colonies en tant que médecin militaire avec la ferme intention de tirer tout cela au clair.
    Gabrielle se leva, fourragea dans un placard, emplit un verre de cognac qu’elle offrit à Victor, puis se mit à aller et venir à travers le salon.
    — Je fus heureuse de constater que, sous sa carapace de scientifique blasé, le chercheur enthousiaste qu’avait été Antoine quand nous nous étions connus pointait de nouveau le nez. À la longue notre couple s’étiolait, cependant son soudain regain d’intérêt me réconcilia avec l’existence. Antoine en vint rapidement à soupçonner Dubois de rechercher un être invisible nommé « pithécanthrope ».
    — Je commence à pressentir la suite.
    — Antoine n’eut de cesse d’obtenir du Muséum une nouvelle mission aux Indes néerlandaises, ce qui lui fut finalement accordé l’été dernier. Le thème officiel de ses études était inchangé : la vie des orangs-outans dans leur habitat naturel. J’insistai afin de l’accompagner, et l’on m’y autorisa, ainsi que ma camériste Lucie Robin, Alexis Wallers, et le secrétaire de mon mari, Charles Dorsel, embauché à Java en 1888 et logeant depuis ce temps sous notre toit.
    — Les protagonistes du drame étaient réunis, constata Victor.
    — Deux d’entre eux n’ont

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