Le secret des enfants rouges
juste que j’aurais souhaité le voir épouser une vraie jeune fille de France !
— Nous y voilà, déclara-t-il. Iris n’est pas assez française à votre goût.
— J’ai rien contre elle, moi, elle est jolie, elle a de l’éducation, et tout. Seulement s’ils ont des enfants…
— Il se peut en effet que leurs yeux soient bridés, toutefois ils auront l’accent parisien. Vous êtes vous-même originaire de Charente, n’est-ce pas ?
— Parfaitement, monsieur Legris. Toute ma famille est d’Angoulême.
— Permettez-moi en ce cas de vous signaler que le comté d’Angoumois ne fut rattaché à la Couronne que sous Philippe le Bel, puis, après avoir été cédé à l’Angleterre et rendu à la France, échut un temps à la mère de François I’, Louise de Savoie. Ce passé mouvementé ne fait pas de vous une personne apte à mépriser les origines de ma sœur.
— Je ne les méprise en aucune façon ! Y a autre chose…
Euphrosine éclata en sanglots.
— Voyons, reprenez-vous, à quoi rime ceci ? grogna Victor, profondément ennuyé.
Euphrosine s’essuya les yeux et se moucha plusieurs fois.
— Le père de Joseph… Il était marié quand on s’est aimés Et puis sa femme est tombée malade, alors il m’a juré que si elle venait à trépasser, il m’épouserait, mais il est parti quelques mois avant elle. Dieu merci, il avait reconnu Joseph, ce qui fait que mon fils a l’identité de Pignot. Mais moi, j’ suis toujours Courlac ! brama-t-elle en agitant son vaste mouchoir à carreaux.
Victor réprima un rire nerveux.
— Et c’est cela qui vous tourmente ? Vous ne l’avez jamais avoué à Joseph ?
— Comment que j’pourrais affronter son mépris ?
— Il n’y a là rien de honteux. Il vous aime et s’accommodera très bien de la vérité. Espériez-vous l’obliger à rester vieux garçon sa vie durant pour éviter de lui révéler votre véritable identité ? D’ailleurs Iris s’en moque, c’est Joseph qu’elle épouse, pas vous !
« Grâce au ciel ! » pensa-t-il.
— Merci, monsieur Legris, vous m’ôtez une pierre de la poitrine.
— Allez chez Tasha, vous y trouverez de la vodka, je vous conseille de vous en verser un petit verre et de vous reposer un instant sur son lit. À moins que votre amour de la Patrie ne souffre d’accepter cette offre émanant d’un homme franco-anglais vivant en concubinage avec une jeune femme émigrée de Russie…
— Oh ! monsieur Legris, j’ai honte de ce que j’ai dit ! Je mériterais des coups !
— Je suis trop fatigué pour vous frapper, grommela-t-il en fermant les yeux.
Elle sortit à pas de loup et il succomba sur-le-champ au sommeil.
Il s’éveilla en sursaut, conscient d’une présence. Au pied du lit, Kenji l’observait en souriant.
— Je serais venu dès hier si la tigresse qui veille sur vous ne m’avait refoulé. Comment va votre blessure ?
— J’ai hâte qu’on m’ôte ces maudits points de suture.
— Patience. « En avril, ne te découvre pas d’un fil. »
— Très spirituel. Et vous ?
— Quelques contusions mal placées.
— Mme Pignot m’a averti du mariage.
— Je dois une fière chandelle à Joseph. En accédant à sa supplique, j’ai cherché à temporiser. Deux têtes de linotte ensemble courent au-devant de sérieux ennuis. Toutefois, à fiancés écervelés, mariage différé.
— Vous et vos adages… J’ai rencontré Gabrielle du Houssoye cet après-midi. Je détiens enfin les clés de l’affaire. Désirez-vous que je vous les communique ?
— Cela va de soi. Je m’attends pourtant à ce que le nom d’Eugène Dubois soit mêlé à votre narration. Je vous conseille de ne pas demeurer bouche bée, une mouche est si vite gobée.
— D’où tenez-vous cela ?
— En relisant la lettre de John Cavendish, j’ai buté sur un nom : Trinil. Il se trouve que, tout jeune, lors d’un voyage à Java, je m’étais arrêté dans ce village où j’avais eu le loisir d’examiner des fragments de squelettes de gibbons ramassés par les indigènes au bord de la rivière Solo. Une intuition m’a poussé à téléphoner à un ami de la National Geographic à Londres, il connaît bien le Sud-Est asiatique. Il a obtenu des renseignements concernant cet Eugène Dubois, qui a entrepris les fouilles paléontologiques dont la finalité est inconnue, et me les a transmis. J’ai alors pensé que si na coupe intéressait autant Antoine du
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