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Le secret des enfants rouges

Le secret des enfants rouges

Titel: Le secret des enfants rouges Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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justesse l’ouverture des hostilités. Dès qu’ils se furent dépêtrés de la bousculade, la rue reprit un aspect débonnaire. Identifier Clovis Martel ne posa guère de problème, tant son nez protubérant, dont la teinte violacée trahissait la fréquentation assidue des caboulots, se signalait de loin.
    Grand, maigre, coiffé d’un galure cabossé, le menton en galoche souligné d’un bouc, il suivait l’algarade d’un regard accablé en mordillant une allumette. Kenji étudia le fatras d’objets hétéroclites alignés à ses pieds : deux rabots, un vase de nuit, une dent de narval, des épingles à cheveux, une mauvaise copie de la Joconde, une paire de croquenots aux fissures emplies de poix.
    — Quand ces momies auront fini de se crêper le chignon, j’pourrai enfin étrenner. Des fesse-mathieux comme elles, ça court pas la ville, elles feraient suer les picaillons des murs, tandis qu’moi, je suis carré, jamais d’réclamations, et si vous trouvez pas votre bonheur ici, j’ai une foultitude d’occases en stock.
    — Une coupe, par exemple, consistant en une boîte crânienne de singe, sur un trépied décoré de brillants et d’une tête de chat, dit Victor.
    Clovis Martel les considéra avec stupéfaction.
    — En voilà une sévère ! Et où que j’aurais décroché ce genre de timbale ? Chez Christofle 41  ?
    — Vous l’avez achetée à la gamine d’un certain Léonard Diélette. Or elle appartient à Monsieur, précisa Victor en désignant Kenji.
    — Moi ? J’ai rien acheté du tout. Diélette connais pas. Et quand bien même ? Le libre échange est interdit ?
    — Où est cette coupe ? insista Victor.
    — Je n’ sais d’quoi vous causez. Où est-elle, où est-elle, quelque part en France ! aboya Clovis Martel en affectant d’arranger l’ordonnance de son étalage.
    Il se redressa tout d’une pièce. Ses petits yeux porcins lui sortaient de la tête, son teint avait viré au vermillon
    — Et puis merde, quoi ! Laissez-moi turbiner, j’suis
    pas là pour compter les mouches, nom de Dieu, éructa-t-il.
    Nullement impressionné, Kenji fit deux pas en avant.
    — Je reprends. Cette coupe m’a été dérobée lors d’un cambriolage. La détention de biens volés porte le nom de recel, et le recel est puni par la loi, expliqua-t-il posément.
    — h ! le v’là-t-y pas qu’il y va d’son sermon d’curé ! Ça fait plus de dix ans que j’déballe ici et personne ne m’a jamais suspecté d’recel. Alertez les cognes si ça vous chante, on s’expliquera. Hein, Abel, t’entends ça ? brailla-t-il à l’adresse d’un marchand de vin à la panse énorme sur laquelle une escadre aurait navigué à l’aise. L’architecte de l’univers m’en soit témoin, j’ sais bien qu’j’ai la mémoire qui bat de l’aile, mais jamais en affaires. C’est toute la profession qu’vous insultez !
    Un attroupement s’était formé et approuvait vigoureusement les propos de Clovis Martel.
    — Est-ce qu’on est dans un pays libre ? gronda un chiffonnier genre armoire à glace.
    — C’est vrai, ça, on est dans un pays libre, oui ou non ? vociféra Clovis Martel.
    Victor murmura à Kenji :
    — Ce type nous embobine.
    Scandalisé, Clovis Martel, beugla de plus belle :
    — Vous êtes de sacrés emmerdeurs, vous autres ! Vous voulez quoi pour me croire ? Que j’me tranche la
    gorge ? À moins que j’monte en haut du clocher d’ l’église Saint-Médard et que je saute ?
    Kenji l’écoutait, un léger sourire flottait sur ses lèvres.
    — Toi l’Chinois, te paye pas ma fiole ou j’te fais bouffer tes dents en guise de casse-croûte. Maintenant, du balai, j’veux plus voir vos gueules ! Non mais, j’agonise et ça les réjouit !
    — Laissez tomber, dit la Martiniquaise qui s’était approchée, il est si plein de picrate qu’ça suffirait pour faire flotter un baleinier. On n’est pas tous de son acabit, n’allez pas aux flics, ça nous ferait du tort. Vous cherchez quoi ?
    — Un objet volé.
    — On peut dire c’ qu’on veut du Clovis, sauf l’accuser d’vol.
    — Il l’a peut-être revendu en toute bonne foi, suggéra Victor. Vous savez avec qui il traite d’habitude ?
    — Je réfléchis. Si c’est un objet de valeur, il a pu le monnayer à son pote.
    — Son pote ? Il est là ?
    — Lui ? Ah non, c’est un aristo du déchet, il a pignon sur rue.
    — Quelle rue ?
    — Maman Doudou, moucharder ?

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