Le secret des enfants rouges
domicile ?
— Oh, le plus simplement du monde, Victor, c’est vous qui m’avez renseigné. Tranquillisez-vous, je n’ai nullement l’intention de marcher sur vos brisées, jouer les limiers n’est pas mon fort, je me contenterai de répondre à l’image que les Occidentaux qui, soit dit en passant, confondent l’empire du Milieu et l’empire du Soleil levant, se font des Orientaux.
— Ah ! Quelle sorte d’image ?
— Je serai cauteleux, énigmatique, je multiplierai les courbettes, et j’émaillerai mes propos de phrases exotiques si l’hôtesse m’offre une collation : Arigato okamisan . Grand merci, madame.
Victor leva les yeux au ciel.
— On ne sait quand vous plaisantez ou quand vous êtes sérieux.
— Je suis très sérieux, je veux voir de près ces gens qui me semblent être impliqués dans une drôle d’histoire. Cocher ! Rue Charlot.
— Je vous accompagne, dit Victor.
L’émissaire laissa le fiacre prendre de l’avance et appuya sur le pédalier. Demain, dès l’aube, il retournerait fouiller rue de Nice.
CHAPITRE XI
Vendredi 15 avril, après-midi
La porte s’ouvrit sur une large antichambre aux murs recouverts d’estampages chinois. Une servante rebondie les débarrassa de leurs manteaux en observant furtivement Kenji. Ils longèrent d’interminables couloirs jusqu’à une seconde antichambre où un valet de pied en livrée les introduisit au salon.
La vaste pièce était meublée de deux divans couleur abricot. Le tissu des rideaux représentait des scènes mythologiques qu’on retrouvait sur les chaises. Il y avait une cheminée, quatre fauteuils, des lampes à huile vieux modèle qu’il fallait remonter régulièrement avec une clé, des cadres contenant des photographies exposés sur l’inévitable piano, et une table de chêne près de l’une des fenêtres.
Une femme en robe de soie noire était debout au coin de la cheminée Kenji fut sensible à sa silhouette déliée et à son expression énergique. Il s’inclina. Victor le vit tressaillir lorsqu’elle retint sa main dans la sienne et l’invita à s’asseoir en lui dédiant un sourire enjôleur emprunt de mélancolie. Victor ôta son chapeau tout en notant la présence d’une bibliothèque d’acajou alignant de magnifiques reliures en veau raciné.
— Excusez ma tenue, messieurs, je ne m’attendais pas à votre visite. Mais je vous en prie, installez-vous. Vous étiez en relation avec mon époux ?
— Non, madame, nous ne nous sommes jamais rencontrés, j’étais en voyage quand il a déposé sa carte aux bons soins de M. Legris, mon associé que voici, répondit Kenji.
Gabrielle du Houssoye lut rapidement le mot griffonné au dos du bristol.
— J’ignore de quoi il s’agit, murmura-t-elle. Mon mari ne me tenait pas toujours au courant de ses démarches.
— Pardonnez-moi, madame, vous parlez au passé, M. du Houssoye serait-il…
— Hélas, monsieur Mori, le pauvre homme nous a quittés brusquement, il a été assassiné… Une balle en plein cœur.
— Mon Dieu, c’est affreux ! A-t-on retrouvé son meurtrier ?
— La police enquête.
Deux hommes firent leur entrée. L’un, la quarantaine avantageuse, élégamment vêtu, qui semblait désabusé. L’autre, jeune, imberbe, le teint mat, légèrement souriant comme un gosse facétieux.
— Je vous présente Alexis Wallers, le cousin de mon défunt mari, et Charles Dorsel, son secrétaire. M. Mori, M. Legris.
Une moue ironique atténua l’attitude blasée d’Alexis Wallers.
— Laissez-moi deviner, Mori, Mori…Vous n’êtes pas italien, c’est indéniable. Vous n’êtes pas chinois, les patronymes de ces mangeurs d’opium sont imprononçables ! Vous êtes… japonais ! Ah, j’eusse aimé explorer le Japon, cet archipel idyllique des mers jaunes ! Le pays de l’hospitalité fleurie et des charmantes mousmés faites pour combler tous les désirs des hommes.
— Vous enjolivez.
— Monsieur Legris, nous nous sommes déjà vus, au Muséum, si ma mémoire est bonne.
— C’est exact.
— Que nous vaut l’honneur de votre présence ?
— Ces messieurs voulaient s’entretenir avec Antoine, ils avaient une relation commune, dit Gabrielle du Houssoye.
— Lady Fanny Hope Pebble, précisa Kenji, la sœur
d’un ami très cher.
— C’est regrettable, dit Alexis Wallers, hélas je ne peux vous aider, mon cousin n’avait pas l’habitude de se confier à moi. Et
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