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Le secret des enfants rouges

Le secret des enfants rouges

Titel: Le secret des enfants rouges Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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pourvu d’un logement. Ce n’est pas le Grand Hôtel, quoique la vue sur la place Saint-André-des-Arts soit plutôt agréable. Si vous me promettez de ne pas piper pendant que je me battrai avec les alexandrins, je vous convie à partager ma mistoufle. En tout bien tout honneur ! Il me reste un plein cageot de patates. Vous prendrez le lit, je me contenterai du fauteuil. Qu’en pensez-vous ?
    — C’est la plus belle proposition qu’on m’ait jamais faite.
    — Alors topez là, mademoiselle Anna.
     
    Le trajet en fiacre avait été propice à la réflexion. Quoiqu’il se contraignît à ne pas songer au but de sa course, Victor était aussi anxieux qu’un patient avide d’obtenir un diagnostic de son médecin.
    — Suis-je malade ? Est-ce grave ? Vais-je guérir ?
    En même temps, sa conscience lui soufflait que sa jalousie était le sel indispensable à la longévité de son amour envers Tasha. Tout comme cette nouvelle enquête pimentait une existence qui l’eût facilement ennuyé.
    L’air retentissait du son des cloches, un soleil pâle illuminait la butte que gravissaient des couples venus s’aérer les poumons et manger une blanquette avant d’aller guincher. Des flots de ménagères s’agglutinaient autour des marchands de quatre-saisons qui ponctuaient l’alignement des charcutiers, des pâtissiers et des traiteurs.
    Rue Tholozé, Victor bifurqua à droite. Il éprouva un pincement au cœur en poussant les battants du Bibulus à l’enseigne du Chien qui tète , gargote chère à son souvenir car il y avait nombre de fois retrouvé Tasha jusqu’à ce qu’elle déménageât rue Fontaine. S’il identifia aussitôt l’odeur de bibine qui imprégnait l’atmosphère, il fut déconcerté par la décoration. Firmin, le tavernier, avait troqué les trépieds et les tonneaux faisant office de tables contre des guéridons et des chaises cannées. Un percolateur orné de porcelaine à fleurs trônait au milieu du zinc. Sur les étagères se tenaient au garde-à-vous, en formations serrées, des bouteilles, ventrues ou effilées, des verres, des tasses impeccablement astiqués. Des becs de gaz remplaçaient les lampes à pétrole.
    — Ave, Firmin, vous me remettez ?
    Le gros homme au teint brique ajusta ses bésicles.
    — M’sieu Legris ! Amen ! Vous n’avez pas bougé.
    — Qu’est-il arrivé ici ? La guerre ?
    — J’me suis marié, m’sieu Legris, ça explique tout. La patronne est méticuleuse. Moi, j’préférais l’bon vieux temps, mais on peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre, s’pas ?
    — Je cherche Maurice Laumier, il est là ? jeta Victor prêt à s’engouffrer dans l’étroit corridor qui menait à l’atelier.
    — Ça, c’est du passé, adieu « Chapelle de Thélème », mon épouse a viré le beau monde, maintenant y a une académie de billard. Faut c’qu’y faut, hein ! C’est d’un triste ! Remarquez, je vais être bientôt papa, ça mettra d’l’ambiance.
    — Félicitations, Firmin. Savez-vous par hasard où habite Laumier ?
    — Il crèche là-haut, rue Girardon, numéro 15, près de l’allée des Brouillards, ça fait un bail que je ne l’ai vu…
    Victor reprit son ascension en méditant un conseil du Bouddha ressassé par Kenji : Rappelez-vous qu’il n’est rien de constant si ce n’est le changement .
    En cette fin de siècle le quotidien s’emballait, il ne s’écoulait pas un jour sans qu’une innovation apparût, sans qu’une mode ou un quartier sombrât dans l’oubli. Le XX°siècle piaffait à la porte, et Victor renâclait.
    « Peut-être est-ce le propre de chaque vie : les grains s’accumulent au fond du sablier, tu sombres dans la nostalgie, signe que tu prends de la bouteille », songea-t-il.
     
    Le logement de Maurice Laumier, situé au rez-de-chaussée d’une cour, était précédé d’un jardinet envahi de rosiers et de chats. Victor dut frapper à plusieurs reprises avant qu’une voix pâteuse ne mâchouille :
    — Qui est là ?
    Lorsqu’il eut décliné son identité, la porte s’entrebâilla puis marqua un arrêt comme si elle hésitait à révéler un homme ébouriffé et nu.
    — Vous ? Quelle surprise !… Entrez. Mon vieux, vous avez interrompu des saturnales à faire rougir un champ de coquelicots.
    Ils passèrent dans une chambre meublée d’un lit d’où émergeaient des boucles de cheveux noirs. L’humidité suintait des murs. Laumier enfila un pantalon et un tricot

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