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Le secret des enfants rouges

Le secret des enfants rouges

Titel: Le secret des enfants rouges Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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articulé :
    — Dix francs.
    Kenji le régla de deux pièces d’argent.
    — Vous… vous ne marchandez pas ?
    — Inutile, ne s’agit-il pas d’un calice patagon ?
    — Attendez, je vais vous l’envelopper !
    — Ça ira, répliqua Kenji qui déjà fendait la presse, sous le regard câlin d’Aphrodite.
    Joseph faillit donner l’accolade au camelot dont le bagout l’avait laissé pantois. Le départ de ses patrons lui en ôta le loisir. Il peina à les rattraper, pestant contre leur tyrannie.
    — Vous l’avez payé beaucoup trop cher, votre calice patagon ! C’est de la camelote. Vous jetez le pognon par les fenêtres, maugréa-t-il.
    Sans ralentir, Kenji lui retourna son compliment.
    — Ah ? C’est votre avis ? Dommage que vous l’ayez gardé secret au lieu de me conseiller. Tant pis, je retiendrai cette somme sur vos gages.
    La fureur de Joseph l’aveuglait au point qu’il traversa d’une traite la Foire aux jambons, la bouche débordant d’injures impossibles à proférer. Enfin, alors que la place de la Bastille déroulait ses embouteillages, il aborda la chaussée au pas cadencé, savourant d’avance le serment solennel qu’il allait balancer à Kenji dès qu’il serait à sa hauteur :
    « Puisque c’est ça, patron, demain matin je vous servirai votre paquet, chacun son tour, ça fait un bail que je brûle de vous déballer ce qui me pèse, et quand j’aurai fini, j’enlèverai votre fille ! »
    Il n’entendit pas Victor lui conseiller de digérer ce qui n’était qu’une plaisanterie, pas plus qu’il ne perçut le grincement d’une bicyclette roulant aussi vite que les encombrements le lui permettaient. Un frôlement l’avertit qu’un véhicule à deux roues le rasait, il voulut insulter le pékin, vit l’engin fondre sur Kenji. Un bras jaillit, arracha la coupe, le vélo rebondit, gagna de la vitesse, pila devant le Vincennes-Louvre et se coucha en travers du pavé sous les clameurs du cocher et des voyageurs de l’impériale. Le cycliste se redressa, serrant toujours la coupe contre lui, abandonna son engin, et contourna l’omnibus, Victor sur ses talons. Empêtré au milieu d’un attroupement, Kenji réussit à se dégager. Bon dernier, Joseph se sentait pousser des ailes et zigzaguait entre les fiacres et les voitures, sourd aux anathèmes déversés par les collignons. Où cavalait donc ce zèbre de malheur ?
    « Ma parole, il va se précipiter dans la gueule du loup ! Non, il n’est pas assez idiot pour…»
    C’était bien vers la colonne de Juillet que se dirigeait le voleur. Allait-il s’y engouffrer ? Un gardien en protégeait l’accès, les bras écartés. Il y eut une détonation, le gardien hurla, le voleur disparut, Victor aussi.
    Une seconde détonation claqua.
    La balle avait atteint Victor au côté droit, lui faisant faire une pirouette. Kenji passa en trombe près de lui sans remarquer qu’il était touché et disparut dans l’escalier aux trousses de son voleur. Pendant quelques secondes Victor ne bougea pas. Puis il se sentit tomber à l’instant où Joseph déboulait.
    — Patron, non !
    Victor fit rouler son corps avec effort, s’appuya à la paroi et se retrouva debout, titubant. Il tenta de desserrer sa ceinture, y renonça et retomba. Les paumes appliquées à son flanc, il sombrait lentement, ses yeux se fermèrent.
    — Patron, patron, vous êtes blessé ?
    — Pas grave… Une éraflure… Kenji…
    — Patron, vous saignez, il vous faut un docteur, gémit Joseph.
    Victor battit des paupières et rouvrit les yeux. Il vit le visage de Joseph crispé d’inquiétude.
    — Kenji… besoin de vous, souffla-t-il.
    — Oh, patron !
    — Courez… vite… urgent…
    Des voix autour de lui… Une faiblesse presque agréable… Des murmures étranges, semblables au bruissement des arbres… Puis la nuit noire.
    L’escalier était plus large et clair que Joseph ne l’imaginait. La vision de M. Legris couvert de sang décuplait ses forces, mais deux cent quarante marches en colimaçon gravies le souffle court produisirent sur lui un effet similaire au vin absorbé cité Doré. Lorsqu’il déboucha sur la plate-forme, ses pensées avaient perdu toute cohérence. Il vacilla de droite à gauche. Ébloui par la lumière, son univers était déformé, distordu, strié d’éclairs fulgurants. Le sang lui battait furieusement aux oreilles.
    Un cri assourdi le ramena sur terre. Sous ses yeux se déroulait une scène

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