Le seigneur des Steppes
vengeance. La phrase « Nous avons perdu beaucoup de bons guerriers »
servait souvent à justifier un assaut général après un revers.
Le khan n’hésitait pas non plus à expérimenter des
techniques et des armes nouvelles, comme la longue lance. L’arc serait toujours
l’arme de prédilection des cavaliers mongols, mais ils utilisèrent la lance
exactement de la même façon que les chevaliers médiévaux : pour des
charges lourdes contre l’infanterie ou la cavalerie ennemie.
La ruse est un autre élément clef pour comprendre un grand
nombre des victoires mongoles. Pour Gengis et ses guerriers, un combat loyal
était presque déshonorant. Une victoire remportée par la ruse leur paraissait
plus glorieuse et ils cherchaient toujours un moyen de tromper leur ennemi par
de fausses retraites, des réserves cachées, des mannequins de paille sur des
chevaux de remonte. Baden-Powell fit usage des mêmes procédés pour défendre
Mafeking, sept siècles plus tard, avec de faux champs de mines, des barbelés
invisibles et autres stratagèmes. Il y a des choses qui ne changent jamais.
L’épisode où Jelme aspire le sang de la plaie au cou de
Gengis est intéressant. Dans les documents, on ne parle pas de poison, mais
comment expliquer ce geste autrement ? Il n’est pas nécessaire d’aspirer
le sang d’une simple blessure, cela ne hâte en rien la cicatrisation et
pourrait même faire exploser des parois artérielles déjà affaiblies. Historiquement,
l’épisode eut lieu plus tôt mais il est tellement extraordinaire que je n’ai
pas voulu l’omettre. C’est le genre d’incident que l’histoire a tendance à
réécrire, surtout quand une tentative d’assassinat à demi réussie peut
apparaître comme déshonorante.
J’ai laissé de côté un autre événement historique au cours
duquel un Mongol banni et affamé s’empare du plus jeune fils de Gengis, Tolui, et
dégaine un poignard. Nous ignorons quelle était son intention, car Jelme et d’autres
l’abattirent aussitôt. De tels faits pourraient expliquer pourquoi par la suite,
lorsque les Mongols furent aux prises avec les Assassins arabes originaux, ils
ne reculèrent devant rien pour les anéantir.
Loin d’être invincible, Gengis fut de nombreuses fois blessé
au combat. La chance fut cependant toujours avec lui et il survécut, justifiant
peut-être ainsi la conviction de ses guerriers : leur khan était un homme
protégé par les esprits et destiné à conquérir.
Quelques mots enfin sur les distances parcourues : l’un
des principaux avantages de l’armée mongole, c’était qu’elle pouvait surgir n’importe
où pour une attaque surprise. Des témoignages dignes de foi font état de près
de mille kilomètres parcourus en neuf jours, soit cent dix kilomètres en une
journée, ou de chevauchées plus extrêmes encore, de deux cent vingt kilomètres
en une journée. Les Mongols couvraient ces longues distances en changeant de
montures, mais Marco Polo rapporte que des messagers du khan parcouraient
quatre cents kilomètres de l’aube au coucher du soleil. En hiver, les Mongols
lâchent dans la steppe leurs chevaux particulièrement endurants. Ces bêtes
mangent suffisamment de neige pour étancher leur soif et parviennent à trouver
dessous de quoi se nourrir. Lorsque le moine franciscain Jean du Plan Carpin
traverse les plaines pour se rendre auprès de Kublai Khan puis à Karakorum, les
Mongols lui conseillent de troquer ses chevaux contre des bêtes mongoles s’il
ne veut pas les voir mourir de faim. Les chevaux mongols ne couraient pas ce
risque. Les chevaux occidentaux, eux, étaient élevés pour leur puissance ou
pour leur rapidité à la course, pas pour leur endurance.
L’épisode des pétales tombant des murailles est authentique.
Soixante mille jeunes filles se jetèrent des remparts de Yenking pour ne pas
voir leur ville tomber aux mains des envahisseurs.
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