Le seigneur des Steppes
vanité
du chamane mais aucun ne lui vint à l’esprit et il sortit. La neige tourbillonnante
l’enveloppa tandis que le guerrier chargeait le khan endormi sur ses épaules. L’expression
de Temüge était amère ; rien de bon ne pouvait découler de l’ascension de Kökötchu,
il en était certain.
Zhu Zhong se réveilla brusquement en entendant des sandales
claquer sur le sol. Il secoua la tête pour chasser le sommeil, ignora la faim
qui le tenaillait à toute heure. Même la cour de l’empereur en souffrait. La
veille, Zhu Zhong n’avait avalé qu’un bol de soupe trop liquide. Il avait
préféré croire que les quelques morceaux de viande qui y flottaient provenaient
bien des derniers chevaux de l’empereur, abattus quelques mois plus tôt. La vie
militaire lui avait appris à ne jamais refuser un repas, même si la viande
était pourrie.
Il se leva et tendit la main vers son sabre au moment où un
serviteur entrait dans la chambre.
— Qui es-tu pour me déranger à cette heure ?
Il faisait encore noir dehors et Zhu Zhong était abruti de
fatigue. Il abaissa son arme quand le serviteur se prosterna devant lui.
— Seigneur régent, le Fils du Ciel vous demande, dit l’homme
sans lever les yeux.
Zhu Zhong fronça les sourcils, étonné. Jusqu’à ce jour, Xuan,
le jeune empereur, n’avait jamais eu l’audace de le convoquer. Maîtrisant sa
colère, il décida d’attendre d’en savoir plus, appela ses esclaves pour qu’ils
le baignent et l’habillent.
— Seigneur, intervint le serviteur d’une voix mal
assurée, l’empereur veut vous voir immédiatement.
— Il attendra mon bon plaisir ! rétorqua Zhu Zhong
d’un ton qui acheva de terrifier le serviteur. Sors d’ici.
L’homme se releva péniblement et Zhu Zhong réfréna l’envie
de le faire déguerpir plus vite d’un coup de pied.
Les esclaves entrèrent et, malgré la réponse faite au
serviteur, Zhu Zhong leur ordonna de se hâter. Il décida de ne pas se baigner
et fit simplement attacher ses longs cheveux par un fermoir de bronze. Puis il
endossa son armure en se demandant si les ministres étaient derrière cette
convocation impériale.
Lorsqu’il quitta ses appartements, précédé du serviteur
trottant dans le couloir, l’aube montrait sa grisaille à chaque fenêtre. C’était
son heure préférée, même si elle marquait aussi le réveil de son estomac.
L’empereur se trouvait dans la salle d’audience où Zhu Zhong
avait assassiné son père. En passant entre les gardes, le régent se demanda si
quelqu’un avait raconté au jeune garçon que l’ancien empereur était mort dans
cette pièce. Et de quelle manière.
Les ministres entouraient Xuan comme une volée d’oiseaux aux
couleurs vives. Ruin Chu, le premier d’entre eux, se tenait à la droite de Xuan,
assis sur le trône qui le rapetissait encore davantage. Le Premier ministre
semblait à la fois tendu et arrogant et ce fut avec curiosité que Zhu Zhong s’approcha
et s’agenouilla.
— Le Fils du Ciel m’a demandé et je suis venu, dit-il d’une
voix claire.
Il vit les yeux de Xuan rivés au sabre qu’il portait à la
hanche et devina que l’enfant savait parfaitement ce qui était arrivé à son
père. Le choix de la salle était donc en soi une déclaration et Zhu Zhong, dominant
son impatience, attendit de découvrir ce qui donnait aux volatiles de l’empereur
cette nouvelle assurance. À son étonnement, ce fut Xuan lui-même qui prit la
parole :
— Ma ville meurt de faim, seigneur régent.
La voix tremblait légèrement mais elle s’affermit quand il poursuivit :
— Un cinquième de ses habitants ont péri avec la
loterie et les jeunes filles qui se sont jetées des murailles.
Zhu Zhong faillit répliquer de façon cinglante mais il
devait y avoir autre chose pour que Xuan ose le convoquer.
— On n’enterre plus les morts tant il y a de bouches à
nourrir, continua l’empereur. Nous en sommes réduits à la honte de manger nos
défunts ou de les rejoindre, et…
— Pourquoi m’avoir fait venir ? dit soudain Zhu
Zhong, fatigué des grands airs de Xuan.
Ruin Chu suffoqua d’indignation devant cette interruption
effrontée. Zhu Zhong lui accorda à peine un regard. Rassemblant son courage, le
jeune garçon se pencha en avant.
— Le khan des Mongols a de nouveau fait monter une
tente blanche dans la plaine. L’espion que vous avez envoyé a rempli sa mission,
nous pouvons enfin payer un tribut.
Zhu
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