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Le Signe rouge des braves (Un épisode durant la guerre de Sécession)

Le Signe rouge des braves (Un épisode durant la guerre de Sécession)

Titel: Le Signe rouge des braves (Un épisode durant la guerre de Sécession) Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Stephen Crane
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essoufflés par la course. Sa gamelle lui battait rythmiquement la cuisse, et son havresac rebondissait mollement sur son dos ; tandis que le mousqueton sautait un peu plus haut que l’épaule, et rendait incertaine la position de son képi sur sa tête.
    Il pouvait entendre les hommes souffler ces phrases entrecoupées : « Dis… à propos de quoi… tout ça ? » ; « pourquoi mille tonnerres est-ce… nous… fuyons… ainsi ? » ; « Billie… écarte-toi de mon chemin… tu cours… comme une vache ! » On pouvait entendre la voix aiguë du stentor : « Pourquoi diable court-on comme ça ? »
    L’adolescent pensa que le brouillard humide du matin avait disparu sous la ruée furieuse d’un grand corps de troupe. On entendit soudain une lointaine salve de coups de feu.
    Il perdit la tête. Alors qu’il courait avec ses camarades, il essaya avec fermeté de réfléchir, mais tout ce qu’il sut, était que s’il tombait, ceux qui arrivaient derrière le piétineraient. Toutes ses facultés se limitaient à le conduire et à passer les obstacles. Il se sentait comme entraîné par une foule.
    Le soleil se leva versant sa lumière, et un par un les régiments jaillissaient devant le regard comme si la terre venait d’enfanter ces hommes armés. L’adolescent sentait que le moment était venu. Il allait enfin se connaître. Un moment il se sentit tout petit face à la grande épreuve, et la chair qui recouvrait son sein parut très mince. Il trouva le temps de regarder autour de lui pour faire ses estimations.
    Mais il sut à l’instant qu’il lui serait impossible de déserter le régiment : de toute part celui-ci l’enfermait. Et les lois d’airain de la justice et de la tradition l’encerclaient. Il se trouvait dans une cage mouvante.
    Prendre conscience de ce fait lui fit comprendre qu’il n’avait jamais désiré partir à la guerre. Il ne s’était pas engagé de sa propre volonté. Il fut entraîné par un gouvernement cruel. Et maintenant ils l’emmenaient au massacre.
    Le régiment glissa le long d’une berge, et, à moitié immergé, traversa un petit ruisseau. L’eau coulait avec une lenteur de deuil, et couvertes d’ombres noires, quelques bulles blanches semblaient fixer les hommes comme des pupilles.
    Tandis qu’ils grimpaient une colline plus loin, l’artillerie commença de tonner. Là, alors qu’il sentait l’impulsion d’une curiosité soudaine, l’adolescent oublia ses préoccupations. Il remonta la berge presque à quatre pattes, avec une vivacité que n’égalerait pas celle d’un homme assoiffé de sang.
    Il s’attendait à une scène de bataille.
    Il y avait quelques petits terrains complètement bordés par la forêt. Éparpillés sur l’herbe et derrière les troncs d’arbres, il pouvait voir des groupes, et les lignes mouvantes des avant-postes qui couraient çà et là, tirant des salves à travers champs. Une ligne de bataille sombre s’étendait dans une clairière baignée de soleil et pleine de reflets orange. Un étendard flottait.
    D’autres régiments pataugeaient le long de la berge. La brigade se formait en ligne de bataille, et après une pause, avança lentement à travers bois, derrière des avants postes bien abrités ; qui se confondaient constamment avec le paysage pour réapparaître plus en avant.
    Constamment occupés comme des bourdons, ils étaient profondément absorbés par leurs échauffourées.
    L’adolescent essayait de tout observer. Il ne faisait aucune attention pour éviter les arbres ni les branches, et se heurtait constamment les pieds contre les pierres, s’accrochait à la bruyère. Il prenait conscience que ces bataillons avec leur tumulte, striaient d’un rouge criard la douce toile du paysage verdoyant. Ce n’était pas le bon endroit pour un champ de bataille.
    Les avants postes en action le fascinaient. Leurs tirs dans les buissons et sur les arbres qui dominaient au loin, lui parlaient de tragédies… secrètes, mystérieuses, solennelles.
    La ligne du régiment arriva sur le corps d’un soldat tué. Couché sur le dos il fixait le ciel. Il portait une tenue bizarre de couleur brun jaune. L’adolescent pouvait voir que les semelles de ses bottes étaient si usées qu’elles avaient la minceur d’une feuille de papier ; et le pied du mort saillait piteusement par l’ouverture béante de l’une d’entre elles. Comme si le destin trahissait le soldat : dans la mort il exposait à ses ennemis

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