Le Signe rouge des braves (Un épisode durant la guerre de Sécession)
de soi pour être meilleur. De rapides tableaux de lui-même, solitaire, – toujours le même –, se déroulèrent en lui ; silhouette bleue prenant désespérément la tête de charges enflammées, le pied en avant, et l’épée brisée mais hautement levée ; ou faisant face à un assaut de pourpre et d’acier, se faisant tuer calmement sur une place élevée, devant tous les regards. Il pensa au magnifique pathos que sa mort susciterait.
Ces pensées le soulagèrent quelque peu. Il sentait le frisson du désir de se battre. Dans ses oreilles il entendait le chant de la victoire. Il connut l’excitation d’une charge rapide et triomphale. La musique des pas cadencés, des voix coupantes, du claquement des armes de la colonne toute proche, lui faisait prendre essor sur les ailes rouges de la guerre. Durant de courts instants, il se sentit sublime.
Il pensa être sur le point d’aller au front. Vraiment il se vit, poussiéreux, le regard vide, essoufflé courant au front, arrivant au moment propice pour saisir à la gorge la noire et libidineuse sorcière des calamités.
Puis les difficultés de la chose commencèrent à lui venir en tête. Il hésita, balançant sur ses pieds d’un air embarrassé.
Il n’avait pas de fusil : il ne pouvait se battre avec ses mains, se dit-il avec amertume en réponse à ses rêves. Mais alors, les fusils on pouvait les ramasser : il y en avait en extraordinaire profusion.
De même, se dit-il encore, ce serait un miracle s’il pouvait retrouver son régiment… Hé bien il pourrait se battre avec n’importe lequel.
Il se mit à avancer lentement. Il marchait comme s’il avait peur de mettre le pied sur une mine. Il luttait avec ses doutes.
Il serait vraiment un moins que rien si l’un de ses camarades le voyait revenir ainsi, avec les preuves de sa fuite. Mais il se consolait en se disant que les hommes, tout à leurs combats, ne font pas attention à ce qui se passe à l’arrière, pourvu qu’aucune silhouette hostile ne vienne de là. Dans la mêlée il passerait aussi inaperçu qu’un homme sous une cape.
Mais quand la lutte connaîtra un moment d’accalmie, se dit-il, alors son destin inexorable lui amènera un homme qui lui demandera des explications. En imagination il ressentait déjà le regard scrutateur de ses compagnons, alors qu’il peinait douloureusement sur quelque mensonge.
Finalement, ces délibérations et ces objections finirent par lasser son courage, et absorber toute son ardeur. En examinant soigneusement bien la chose, il ne pouvait s’empêcher d’admettre leur importance ; cependant, l’échec de son plan ne l’avait pas complètement découragé.
Par ailleurs, des douleurs variées commençaient à se faire entendre. Leur présence l’empêchait de planer haut sur les ailes de la guerre ; il lui était impossible de se voir en héros illuminé. Il tomba la tête en avant.
Il ressentit une soif brûlante. Son visage était si terne et si sec qu’il crût que sa peau craquelait. Chacun de ses os était douloureux, et paraissait sur le point de se briser au moindre de ses mouvements. Il avait les pieds meurtris, et son corps criait famine. C’était plus fort qu’une faim directe. Il avait une sensation imprécise, comme un poids à l’estomac ; et quand il essaya de marcher, sa tête balança et il se mit à tituber. Il ne pouvait voir distinctement, de petites buées vertes flottaient devant ses yeux.
Secoué par toutes ces émotions il n’avait pas eu conscience de ses douleurs. Maintenant elles l’assiégeaient à grands cris ; et comme il fût forcé de les écouter son mépris de soi grandit. En désespoir de cause il se dit n’être pas comme les autres. Il admettait l’impossibilité pour lui de jamais devenir un héros. Il n’était qu’un niais et un lâche. Ces visions de gloire étaient si pitoyables ! Il gémit du fond du cœur et avança en titubant.
Quelque chose en lui le forçait à rester à proximité du champ de bataille, comme le phalène autour du feu. Il désirait grandement voir et s’informer. Il voulait savoir lequel gagnait.
Il se dit que malgré les souffrances sans précédent qu’il endurait, sa soif de victoire était intacte ; quoique, se dit-il en manière de semi-excuse, il savait qu’à présent une défaite de son armée voudrait dire tant de choses en sa faveur. Les assauts de l’ennemi disperseraient les régiments en fragments, et ainsi de nombreux hommes de
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