Le Signe rouge des braves (Un épisode durant la guerre de Sécession)
réfractaire. L’homme s’écria : « Lâche-moi ! Lâche-moi ! » Sa face était livide et ses yeux roulaient furieusement. Essoufflé, il respirait bruyamment. Il tenait encore son fusil, peut-être avait-il oublié de le jeter. Il tirait avec frénésie sur le bras de l’adolescent, courbé et entraîné à plusieurs pas : « Lâche-moi ! Lâche-moi ! »
– « Pourquoi… pourquoi… » bredouillait l’adolescent.
– « Hé bien alors » rugit l’homme dans une grande colère. Adroitement il balança son fusil qui s’écrasa avec violence sur la tête de l’adolescent et s’enfuit.
Ses doigts mollirent sur le bras de l’autre. Ses muscles avaient perdu toute vigueur. Il crut voir la foudre s’abattre sur lui et le tonnerre gronder sourdement dans sa tête. Il ne sentit soudain plus ses jambes, et il s’écroula au sol en se tordant de douleur. Il tenta de se relever. Dans ses efforts contre le mal qui l’abattait, il paraissait lutter avec une créature invisible. Le combat fut sinistre.
Par moments il se mettait presque à moitié debout, battait l’air un instant, puis retombait à nouveau, s’agrippant à l’herbe. Son visage était d’une moiteur pâle. Des gémissements profonds et douloureux sortaient de lui.
Finalement en se contorsionnant il se remit sur les genoux et les mains ; et ainsi, comme un enfant qui apprend à marcher, se remit sur ses pieds. Les mains pressées sur ses tempes il marcha sur l’herbe en vacillant. Il lutta intensément avec son corps : ses sens engourdis poussaient à l’évanouissement et il s’y opposait obstinément, se représentant par l’esprit les dangers inconnus et les mutilations s’il venait à tomber dans ce champ. Il se raidit, imitant la manière du soldat de grande taille. Il pensa aux endroits retirés où il pourrait s’étendre sans risques. Pour en chercher un il lutta contre les vagues douloureuses qui l’assaillaient.
Mettant la main sur le sommet de sa tête, il toucha timidement la blessure. La douleur brûlante qui suivit lui fit faire une longue aspiration au travers de ses dents serrées. Ses doigts étaient tachés de sang, il les fixa du regard.
Autour de lui il pouvait entendre le roulement des canons, violemment secoués, qui étaient traînés vers le front par des chevaux fouettés au galop. Un jeune officier sur un destrier couvert de boue faillit le renverser. Se retournant il vit cette masse de canons, d’hommes et de chevaux glisser le long d’une large courbe vers l’ouverture d’une barrière. De sa main gantée, l’officier faisait des mouvements excités. Les canons suivaient les chariots contre leur gré, à cause du fait qu’ils étaient traînés par les talons sans doute.
Quelques officiers de l’infanterie éparpillée pestaient et juraient comme des charretiers. Leurs voix grondeuses pouvaient s’entendre par-dessus le vacarme énorme. Parmi l’indescriptible mêlée qui se trouvait sur la route chevauchait un escadron de cavalerie. Le jaune passé de leurs revers luisait fièrement. Il y eut une terrible querelle.
L’artillerie s’assemblait comme pour un grand débat.
La brume bleutée du soir descendait sur les champs. Les lignes de la forêt étaient de longues ombres pourpres. Un nuage étendu le long de la partie ouest atténuait un peu cette rougeur du ciel.
Comme l’adolescent laissait derrière lui cette scène, il entendit les canons soudainement rugir. Il les imagina secoués d’une colère noire. Ils crachotaient et hurlaient comme des monstres d’acier défendant une porte. La douceur du crépuscule était saturée par ces terribles remontrances. À cela s’ajoutait le fracas déchirant de l’infanterie adverse. Se retournant derrière lui, il vit des éclats de lumière orange illuminer l’ombre distante. De soudains et délicats éclairs apparaissaient dans le ciel lointain. Par moments il crut voir des masses d’hommes qui se levaient.
Dans la nuit qui tombait, il hâta son pas. Le jour s’éteignit au point qu’il pouvait à peine distinguer un endroit où mettre les pieds. La ténèbre pourpre était pleine d’hommes qui conféraient dans un roulement confus de voix. Il pouvait les entrevoir qui gesticulaient tout contre le bleu sombre du ciel. Il semblait y avoir une grande mêlée d’hommes et d’armes éparpillés tout autour dans la forêt et les champs.
La petite route étroite était à présent comme sans vie. Il y avait des fourgons
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