Le Signe rouge des braves (Un épisode durant la guerre de Sécession)
fus touché au bras et la balle me fit presque tourner sur moi-même. J’avais peur avec tous ces tirs derrière moi, et je courus pour me mettre hors de portée ; mais j’avais salement encaissé. Je crois bien que j’aurais continué à me battre si ce n’est Tom Jamison. »Alors, il déclara calmement : « J’en ai deux, – des petites –, mais elles commencent maintenant à me taquiner drôlement. Je ne crois pas pouvoir marcher plus loin. »
Ils avançaient lentement et en silence.
– « Tu parais très mal en point toi aussi » dit enfin l’homme aux haillons. « Je parie que t’en as pris une plus méchante que tu ne crois. Tu ferais mieux de prendre soin de ta blessure. Faut pas négliger pareille chose. Elles peuvent être intérieures la plupart du temps, et c’est comme ça que ça fait plus de dégâts. Où as-tu été touché ? » Mais il poursuivit sa harangue sans attendre de réponse. « J’ai vu un type qui avait reçu un pruneau dans la tête, quand mon régiment était tranquillement à attendre une fois. Et tout le monde qui lui criait : « t’as été touché John ? C’est grave ? », « non » qu’il répondait. Il paraissait agréablement surpris, leur racontant comment il se trouvait. Il dit qu’il ne ressentait rien. Mais mon Dieu ! la première chose que ce type a su, c’est qu’il était mort. Oui il était mort, raide mort. Alors prends garde veux-tu. Tu peux avoir quelque blessure vicieuse toi aussi. On peut jamais dire. Où c’est qu’elle se trouve la tienne ? »
Depuis le début de cet entretien, l’adolescent perdait le pas, marchait de manière sinueuse. Exaspérer il lâcha un cri en faisant un furieux mouvement de la main : « Oh ! ne m’embête pas ! » dit-il.
Il enrageait tellement contre l’homme aux haillons qu’il aurait pu l’étrangler. Ses compagnons paraissaient toujours prendre des rôles intolérables : à chaque fois ils faisaient se lever le fantôme de sa honte avec leur curiosité. Il se tourna vers l’homme aux haillons comme quelqu’un aux abois. « Maintenant ne m’embête plus » répéta-t-il avec un air menaçant et désespéré.
– « Hé bien, Dieu m’est témoin que je ne veux embêter personne » dit l’autre. Il y avait un léger accent de désespoir dans sa voix quand il répondit. « Dieu sait que j’ai assez d’ennuis comme ça. »
L’adolescent qui tenait un amer débat avec lui-même, en jetant des regards de haine et de reproches sur l’homme, dit alors d’une voix dure : « Adieu ! »
L’homme aux haillons le regarda avec un profond étonnement.
– « Hé !… Hé compagnon, où que tu vas ? » demanda-t-il d’un air hésitant. L’adolescent en le regardant voyait bien que lui aussi, comme l’autre commençait à agir de manière stupide et bête : ses pensées s’embrouillaient dans sa tête.
– « Maintenant… là… écoute voir… là… toi, Tom Jamison… là maintenant… J’en veux pas… ça ne sert à rien ; où que tu vas ? »
L’adolescent indiqua vaguement : « Par là » répondit-il.
– « Hé bien… maintenant écoute voir… maintenant » dit l’homme, délirant à la manière d’un idiot. Sa tête était penchée vers l’avant et ses paroles incohérentes. « Tu peux pas faire ça maintenant… ça se peut pas… je te connais va maudit tête de cochon. Tu veux t’en aller, et marcher avec une méchante blessure. C’est pas bon… maintenant… Tom Jamison… c’est pas bon. Tu veux bien me laisser prendre soin de toi Tom Jamison. C’est pas bon… pour toi… d’aller comme ça… avec une aussi méchante blessure… c’est pas bon… c’est pas juste… c’est pas bon… »
Pour toute réponse l’adolescent grimpa par-dessus une clôture, et s’en alla. Il pouvait entendre l’homme aux haillons qui gémissait plaintivement. Il se retourna vers lui et dit avec colère : « Quoi ? »
– « Écoute voir… maintenant Tom Jamison… maintenant… c’est pas bon. »
L’adolescent s’en alla. Se retournant, il vit de loin l’homme en détresse qui tournait en rond sans savoir où aller.
Maintenant il souhaitait qu’il fût mort. Il croyait envier ces hommes dont les corps étaient éparpillés sur l’herbe des champs et les feuilles mortes de la forêt.
Les simples questions de l’homme aux haillons furent pour lui comme autant de coups de couteau. Ils disaient que la société
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