Le Signe rouge des braves (Un épisode durant la guerre de Sécession)
craignait si mortellement ces traits qu’il lui fût impossible d’inventer une histoire crédible. Il examina de nombreuses possibilités, mais les rejeta une par une comme inconsistantes. Immédiatement il voyait ce qu’il y avait de vulnérable en eux.
Par ailleurs, il craignait beaucoup qu’une flèche méprisante ne lui mît le moral au plus bas avant qu’il n’ait eu le temps de s’expliquer.
Il imagina tout le régiment qui disait : « Où est Henri Flemming ? Il a déserté c’est ça ? Oh, mon Dieu ! » Il se rappela les différentes personnes dont il était tout à fait sûr qu’elles ne le laisseraient pas en paix pour ça. Sans doute ils l’interrogeraient en se moquant et riraient en le voyant hésiter à répondre en tremblant. Au prochain engagement, ils le surveilleraient pour voir s’il fuirait encore.
Où qu’il aille dans le camp, il rencontrerait des regards insolents qui s’attarderaient cruellement sur lui. En s’imaginant passer devant un groupe de camarades, il pouvait entendre quelqu’un dire : « Le voilà qui part ! » Alors comme toutes les têtes se tourneraient en même temps vers lui, il voyait leur large rire moqueur. Il croyait entendre quelqu’un faire une remarque drôle à voix basse, sur quoi les autres se mettraient à crier comme des coqs et à caqueter comme des poules. Il n’était plus qu’une figure de la déchéance.
CHAPITRE DOUZIÈME
La colonne qui avait si résolument forcé les obstacles sur sa route était à peine hors de vue, que l’adolescent vit de noires vagues d’hommes glisser hors des bois et envahir les champs. Il sut aussitôt que leurs cœurs avaient perdu leurs fibres d’acier. Ils se débarrassaient de leurs équipements et de leurs tenues comme autant de pièges où ils s’étaient empêtrés. Ils chargeaient sur lui comme des bisons affolés.
Derrière eux s’élevait une fumée bleue, formant un nuage sur les sommets des arbres ; et à travers les buissons, il pouvait voir de temps à autre une lointaine lueur rose. La voix des canons éclatait dans un chorus interminable.
L’adolescent était frappé d’horreur, et suivait d’un regard perplexe et douloureux. Il en oubliait son propre combat contre la création. Il écartait les railleries qui naissaient en lui, à propos de la philosophie des déserteurs et les règles de conduite pour damnés. Il perdait tout intérêt pour lui-même.
La bataille était perdue. Les monstres arrivaient à grands pas irrésistibles ; l’armée sans secours dans les épais taillis et rendue aveugle par la nuit qui tombait, allait être avalée. La guerre, ce monstre rouge, la guerre, ce dieu gorgé de sang allait être rassasié.
Quelque chose en lui voulait crier. Impulsivement il voulut faire un discours de ralliement, chanter un hymne de bataille, mais il ne put qu’à peine ouvrir la bouche pour lâcher : « Pourquoi… pourquoi… qu’est-ce qui se passe ? »
Bientôt il se retrouva au milieu d’eux, qui bondissaient et couraient ; leurs faces livides brillaient au crépuscule. Ils paraissaient pour la plupart des hommes très robustes. Pendant qu’ils galopaient, le regard du jeune homme passait de l’un à l’autre. Ses questions incohérentes étaient ignorées. Ils ne faisaient pas attention à ses appels. Ils ne paraissaient pas le voir.
Quelques-uns balbutiaient comme des fous. Un énorme gaillard demandait au ciel : « Dis-moi où est la route du salut? Où est la route du salut ? » Comme s’il avait perdu un enfant. Il pleurait dans sa douleur et sa détresse.
À présent les hommes couraient dans toutes les directions. L’artillerie qui bombardait un peu partout fit se confondre toute idée de coin abrité, que ce soit vers l’avant, l’arrière, ou sur le flanc. Les repères s’étaient évanouis dans les ténèbres qui s’amassaient. L’adolescent commençait à s’imaginer au centre du terrible conflit, et il ne voyait aucune issue. De la bouche des hommes qui fuyaient sortaient des questions furieuses par millier, mais aucun d’eux ne donnait de réponse.
L’adolescent après s’être malmené pour rien en jetant des questions aux bandes de l’infanterie qui battaient en retraite sans lui donner la moindre attention, agrippa finalement le bras d’un homme. Ils pivotèrent sous l’élan de la course, et se retrouvèrent face à face.
– « Pourquoi… pourquoi… » balbutia l’adolescent, luttant avec sa langue
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