Le Signe rouge des braves (Un épisode durant la guerre de Sécession)
là ? » Sa bouche faisant une moue dubitative et horrifiée.
– « Certainement. Juste passer par-dessus ce groupe ! On peut pas rester ici » cria le lieutenant. Il approcha son visage tout près de celui de l’adolescent secouant sa main bandée : « En avant ! » À présent il s’accrochait à lui comme pour une bagarre. Comme s’il avait l’intention de traîner l’adolescent à l’assaut par l’oreille.
Le soldat ressentit une soudaine et indicible indignation contre son officier. D’une torsion farouche il se débarrassa de lui : « Allons-y ensemble alors ! » hurla-t-il. Il y avait un amer défi dans sa voix.
Ils coururent ensemble le long de la ligne du régiment. L’ami se précipita derrière eux. Faisant face aux étendards, les trois hommes commencèrent à hurler : « En avant ! En avant ! » Ils dansaient et tournaient comme des sauvages en délire.
Le drapeau, obéissant à l’appel, pencha sa forme scintillante et glissa vers eux. La masse d’hommes ondula un moment indécise, et alors avec un long hurlement de détresse, le régiment amoindri se lança en avant pour entamer sa nouvelle étape.
La masse se mit à courir à travers champs. C’était une poignée d’hommes inutilement jetée à la face de l’ennemi. Les flammèches jaunes jaillirent instantanément vers eux. Une énorme quantité de fumée bleue étaient en suspension devant eux. Les explosions étaient formidables et assourdissantes.
L’adolescent couru comme un fou pour atteindre le bois avant qu’une balle ne le touche. Il rentrait la tête comme un joueur de football. Dans sa hâte il avait les yeux presque fermés, et la scène devant lui n’était que confusion et violence. Sa bouche écumante portait un dépôt de salive à la commissure des lèvres.
En lui-même, pendant qu’il se ruait en avant, naquit un amour, une tendresse désespérée pour cet étendard à côté de lui. C’était une création belle et invulnérable. Une déité radieuse qui penchait sa forme sur lui, le geste impérieux. Une femme en rouge et blanc, à la fois aimante et vindicative, qui l’appelait de sa voix espéranto : puisqu’aucun mal ne pouvait l’atteindre, il lui conférait la puissance. Comme si le drapeau pouvait sauver des vies, il courut tout près, et un cri de supplication lui vint à l’esprit.
Dans la folle précipitation il prit conscience que le sergent qui portait les couleurs avait soudain flanché, comme frappé d’une matraque. Il resta à l’arrière sans mouvements, excepté ses genoux qui tremblaient.
Il fit un bon et s’accrocha au mat. Au même instant, son ami s’en saisit par l’autre côté. Ils tirèrent dessus furieusement, de toutes leurs forces, mais le porte-drapeau était mort, et le cadavre ne voulut pas se dessaisir de son dépôt. Un moment il y eut un face à face sinistre. Le mort se balançant le dos penché, paraissait tirer obstinément, de manière ridicule et horrible, pour garder le drapeau.
Cela ne dura qu’un instant. Ils dégagèrent furieusement le drapeau des mains du mort, et comme ils se détournèrent à nouveau, le cadavre se tortilla en avant la tête penchée. Un bras balança vers le haut, et la main à moitié fermée retomba comme une lourde protestation sur l’épaule de l’ami, qui ne s’en rendit même pas compte.
CHAPITRE VINGTIÈME
Quand les deux jeunes amis se retournèrent avec le drapeau, ils virent qu’une bonne part du régiment était tombé, et le reste démoralisé revenait vers l’arrière. Les hommes s’étant rués vers l’avant comme des projectiles, avaient épuisé leurs forces. Ils battaient lentement en retraite, leurs visages encore tournés vers les bois qui crachaient toujours le feu, et leurs fusils répondant au vacarme. De nombreux officiers donnaient des ordres, leurs voix étaient perçantes.
– « Où diable allez-vous ? » demandait le lieutenant dans un hurlement sarcastique. Et un officier à la barbe rousse, dont la voix de trompette pouvait pleinement s’entendre, commandait : « Tirez sur eux ! tirez sur eux ! Que Dieu les damne ! » Il y eut une confusion de cris stridents, et l’on ordonna aux hommes de faire des choses contradictoires et impossibles.
L’adolescent et son ami eurent une petite lutte confuse autour du drapeau.
– « Donne-le-moi ! » « Non laisse-moi-le tenir ! » Chacun était satisfait qu’il soit en possession de l’autre, mais tenait
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