Le Signe rouge des braves (Un épisode durant la guerre de Sécession)
de fumée s’épanchaient. Du sommet d’une petite colline, des flammes jaunes, vomies au ras du sol, jetaient des sifflements inhumains dans l’air.
Les hommes en arrêt, eurent l’occasion de voir quelques-uns de leurs camarades tomber avec des cris et des gémissements. D’autres, peu nombreux, étaient à leurs pieds, inertes ou hurlants de douleur. Et durant un instant, les hommes debout, l’étreinte sur leurs fusils relâchée, virent le régiment qui diminuait. Ils paraissaient perplexes et stupides. Ce spectacle semblait les avoir paralysés, subjugués par une fascination fatale. Très raides, ils suivaient les scènes qui se déroulaient autour d’eux, et s’entre-regardaient en baissant les yeux. Leur halte silencieuse avait quelque chose d’étrange.
Alors, par-dessus le tumulte de bruits qui les entouraient, s’éleva le rugissement du lieutenant. Il s’élança soudain à grands pas vers l’avant, ses traits enfantins noirs de rage :
– « En avant, bande d’idiots ! » vociféra-t-il. « En avant ! vous ne pouvez pas rester ici. Vous devez avancer » dit-il encore, mais on ne comprenait pas la moitié de ce qu’il disait.
Il se mit à courir vers l’avant, la tête tournée vers ses hommes : « En avant ! » criait-il. Les hommes le regardaient avec des yeux vides et ronds comme des citrouilles. Il fût obligé de s’arrêter et revenir sur ses pas. Il se tint alors debout le dos à l’ennemi, et lâcha d’énormes malédictions à la face de ses hommes. Tout son corps vibrait sous le poids et la force de ses imprécations. Et il put enchaîner les jurons avec la facilité d’une jeune fille enfilant des perles.
L’ami de l’adolescent s’éveilla. Se jetant soudainement en avant, il se mit à genoux, et tira un coup enragé vers les bois d’où l’on continuait à faire feu. Cette action secoua les hommes de leur torpeur. Ils ne se massaient plus comme des moutons. Paraissant soudain prendre conscience de leurs armes, ils commencèrent aussitôt à tirer. Aiguillonnés par leurs officiers, ils se mirent à avancer. Comme une charrette prise dans une ornière boueuse, le régiment démarra abruptement avec pas mal de secousses. Les hommes à présent s’arrêtaient presque à chaque pas pour charger et tirer ; de cette manière, ils avançaient lentement d’arbre en arbre.
La résistance enflammée qui leur faisait front grandissait à mesure qu’ils s’approchaient, jusqu’à ce que toute avance parut arrêtée par les maigres et jaillissantes langues de feu ; et plus loin sur la droite une menaçante démonstration de force pouvait parfois être vaguement aperçue. La récente fumée émise devenait un nuage si dense, que cela rendait difficile pour le régiment de progresser intelligemment. En traversant chacune de ces masses ondoyantes, l’adolescent se demandait ce qui lui ferait face de l’autre côté.
Les hommes de tête avançaient péniblement jusqu’à ce qu’un espace à découvert s’interposa entre eux et les lignes embrasées. Là, accroupis et craintifs derrière quelques arbres, les hommes s’accrochaient désespérément, comme menacés par une vague. Ils avaient l’air farouche, et comme surpris par la furieuse perturbation qu’ils avaient déclenchée. Ils avaient une expression d’ironique importance durant la tempête. Leurs visages montraient aussi l’absence d’un quelconque sentiment de responsabilité quant à leur présence à cet endroit. C’était comme si on les y avait entraînés. Dans ces moments suprêmes, l’instinct animal dominant ne leur permettait plus de se rappeler les causes majeures des situations dans lesquelles ils se trouvaient. Toute l’affaire paraissait incompréhensible à bon nombre d’entre eux.
Comme ils étaient ainsi en arrêt, le lieutenant à nouveau commença à vociférer des blasphèmes. Sans prendre garde à la menace vindicative des balles, il continuait à supplier, réprimander et maudire. Ses lèvres, d’une courbure naturellement enfantine et douce, prenaient à présent des contorsions malsaines. Il jurait par toutes les divinités possibles.
Un moment il agrippa l’adolescent par le bras : « Avance, tête de lard ! » rugit-il. « En avant ! Nous allons tous être tués si on reste ici. Nous n’avons qu’à passer ce groupe. Et alors… Le reste de son idée disparut dans un sombre voile de malédictions.
L’adolescent tendit le bras : « Passer par
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