Le Signe rouge des braves (Un épisode durant la guerre de Sécession)
bénéfice d’instruire ses amis.
– « Peuh ! » dit le ténor depuis son coin.
– « Alors », insista l’adolescent, « cette histoire n’est pas une fausse alerte comme les autres ? »
– « Pas du tout, » répondit l’échalas exaspéré, « pas du tout ! La cavalerie n’est-elle pas toute partie ce matin ? » Il jeta des regards furieux autour de lui. Personne ne contesta ce fait. « La cavalerie est partie ce matin, » continua-t-il. « On dit qu’il n’en est guère resté dans le camp. Ils allaient à Richmond, ou quelque part par là ; tandis que nous, nous nous battrons avec les sudistes. C’est un retrait stratégique ou quelque chose comme ça. Le régiment a reçu des ordres aussi, c’est ce que m’a dit tout à l’heure un type qui les a vu arriver au QG. Et ils allument le feu à travers tout le camp : chacun peut le voir. »
– « Tu parles ! » dit la grosse voix.
L’adolescent resta silencieux un moment. Enfin, il s’adressa au soldat de grande taille : « Jim ! »
– « Quoi ? »
– « Comment penses-tu que le régiment va se comporter ? »
– « Oh ! ils se battront bien je crois, une fois qu’ils y seront, » dit l’autre d’un ton froid. Il sut utiliser la troisième personne avec finesse. « Il y a eut des tas de blagues qu’on leur a jeté dessus parce qu’ils sont novices, bien sûr et tout ça ; mais je crois qu’ils se battront bien. »
– « Penses-tu qu’il y aura des déserteurs ? » insista l’adolescent.
– « Oh ! il y aura peut-être quelques-uns d’entre eux qui fuiront, il y en a de ces types dans chaque régiment, spécialement quand ils vont au feu pour la première fois » dit l’autre de manière indulgente. « Bien sûr il peut arriver que tout le bazar se défile, si une grande bataille tombe dès le début, et alors il faudra à nouveau rester pour se battre comme à l’entraînement. Mais on n’est jamais sûr d’avance. Bien qu’ils n’aient jamais été sous le feu encore, et qu’il soit improbable qu’ils battent toute l’armée rebelle d’un seul coup, dès la première rencontre, je pense qu’ils se battront mieux que certains, même si c’est pire que d’autres. C’est ainsi que je me figure la chose. Ils appellent le régiment « bleusaille » et tout ça, mais les gens ont de la valeur ; et la plupart d’entre eux se battront comme des diables, dès qu’on se sera mis à tirer », ajouta-t-il avec un grand accent de fierté sur les derniers mots.
– « Oh ! tu crois savoir… », commença le stentor avec mépris.
L’autre se retourna vers lui avec une vivacité de bête féroce. Ils eurent une rapide altercation, au cours de laquelle ils se collèrent l’un à l’autre d’étranges épithètes.
À la fin l’adolescent les interrompit : « As-tu jamais pensé que toi-même tu déserterais, Jim ? », demanda-t-il. En terminant la phrase il rit comme s’il avait voulu dire une plaisanterie. De même, la voix forte se mit à ricaner.
L’échalas secoua la main : « Hé bien, » dit-il d’un ton pénétré, « j’avais pensé que ça allait chauffer pour Jim Conklin dans l’une de ces grandes mêlées ; et si tout un tas de gars allait se mettre à fuir, hé bien je suppose que je me serais tiré. Et si une fois je me mets à courir, je courrai comme le diable, y a pas d’erreur ! Mais si tout le monde tient le coup et se bat, hé bien ! je tiendrai le coup et je me battrai. Je le ferai que diable ! Je parierais là-dessus. »
– « Ha ! » dit le ténor.
Le jeune héros de cette histoire ressentit de la gratitude pour les paroles de son camarade. Il avait eu peur que tous les hommes inexpérimentés comme lui ne possédassent une grande et ferme confiance en soi. Dans une certaine mesure, il était maintenant rassuré.
CHAPITRE DEUXIÈME
Le lendemain matin l’adolescent découvrait que son grand camarade avait été le messager hâtif d’une erreur. Il y eut beaucoup de moqueries sur ce dernier de la part de ceux qui, hier, étaient les fermes adhérents de ses vues ; il y avait même quelque mépris ironique de la part de ceux qui n’avaient jamais cru à la rumeur. L’échalas se battit avec un homme de Chatfield Corners et lui donna une sévère raclée.
L’adolescent sentait, toutefois, que son problème demeurait entier. Au contraire, il se prolongeait de manière irritante. Cette histoire avait
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