Le soleil d'Austerlitz
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Lucien, nommé ministre de l’Intérieur, est mêlé à tant de trafics, fait l’objet de tant de rumeurs, qu’il va falloir l’éloigner. Joseph, membre du Conseil d’État, qui gère les fonds familiaux, est installé dans le somptueux château et domaine de Mortefontaine. C’est là que Murat et Caroline ont célébré leur mariage. Il possède un hôtel élégant construit par Gabriel, rue du Rocher. Pauline et son époux, le général Leclerc, sont installés dans un hôtel particulier de la rue de la Victoire. Letizia Bonaparte est entourée de financiers qui la conseillent pour ses placements.
C’est ma famille. Je leur dois cela, c’est dans l’ordre des choses. Comme la pauvreté et la misère. L’intelligence et la niaiserie. Le droit de commander et le devoir d’obéir.
Pensée d’aristocrate ? Pourquoi pas ? À la condition que la noblesse soit ouverte aux talents, qu’on accède à l’élite par l’effort, le courage et le savoir. Il faut faire la fusion – c’est le mot que j’emploie – entre la France d’avant, celle d’Ancien Régime, et la nouvelle, celle née de la Révolution. Et je suis cette fusion, je suis national .
Le 25 février 1800, dans la maison de campagne de Talleyrand, à Neuilly, Napoléon passe, maigre, l’oeil brillant, parmi tous ces aristocrates du faubourg Saint-Germain que l’ancien évêque d’Autun, ministre des Relations extérieures, a rassemblés pour une soirée fastueuse. Laharpe, critique et traducteur, y récite des vers ; Garat – ancien chef des Incroyables, ces royalistes à la mode extravagante – y chante, en compagnie de Mme Walbonne, la cantatrice à la mode. Les pièces sont éclairées par des centaines de bougies. Les ors et les argents brillent. Napoléon reconnaît des proches de feu Louis XVI, Barbé-Marbois, le chevalier de Coigny, La Rochefoucauld-Liancourt, et voici l’abbé Bernier, qui négocie avec les chouans pour les conduire à déposer les armes et à la soumission.
Car qu’ils ne s’y trompent pas, ces royalistes ! Ce sont eux qui se rallient au pouvoir, et non le pouvoir qui se rallie à eux !
Quand Frotté, l’un des chefs chouans, tombe entre les mains des troupes du général Brune, son sauf-conduit ne le protège pas.
— Ce misérable Frotté, écrit Napoléon. Il a préféré se faire prendre, à rendre les armes.
Pas d’hésitation quand sa plume écrit : « Dans le moment actuel il doit être fusillé. Ainsi la tranquillité se trouvera bien consolidée dans la ci-devant Normandie. »
Et presque tous les jours, on exécute cinq ou six chouans.
Poigne de fer pour ceux qui ne veulent pas se soumettre. D’autant plus que Fouché rapporte des projets d’attentat, d’enlèvement sur la route de la Malmaison.
Ce n’est pas le moment de ma mort.
Napoléon, le soir, souvent, s’en va seul en compagnie de Bourrienne se promener dans les rues de Paris, avec sa redingote grise et un chapeau rond enfoncé sur la tête. Il fait de menus achats, parle avec les uns et les autres comme s’il n’était qu’un quidam qui critique ce Premier consul. Et il se plaît à entendre les réponses.
Un soir de mars, il se rend au théâtre des Italiens, sans équipage. On y donne Les Sabines . La garde consulaire est sur place, sous les armes. Il se renseigne sur la cause de ce déploiement de force, comme s’il n’était qu’un passant.
— Voilà bien du bruit pour peu de chose, dit-il quand on lui répond que l’on attend le Premier consul.
Il ne se fait reconnaître qu’au moment où quelqu’un lance : « Il faut arrêter cet homme-là. »
Il ne craint pas pour sa vie.
Il reçoit, dans l’un des salons des Tuileries, Georges Cadoudal, un colosse royaliste, un irréductible combattant de la chouannerie. C’est la deuxième entrevue, mais celle-ci se déroule en tête à tête, alors qu’il l’a rencontré une première fois en compagnie d’autres chefs vendéens, dans l’espoir de les rallier. Cadoudal ? Un gros Breton, fanatique, pense-t-il, bien capable de l’étrangler ou de lui brûler la cervelle.
Mais il veut l’appâter, le désarmer, en faire, pourquoi pas, un général. Cela vaut mieux que de continuer à porter au flanc ce poignard vendéen enfoncé jusqu’à la garde, alors que les armées autrichiennes se rassemblent sur le Danube puis marchent vers l’Italie et le Rhin.
Cadoudal paraît furieux, va de long en large dans le salon.
Les aides de camp ont laissé
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