Le soleil d'Austerlitz
possession des hauteurs de Montmartre que de Malte !
Lord Withworth reste longuement silencieux, puis il commence à égrener des arguments.
Cet homme-là ne me comprend pas !
Napoléon l’interrompt. Il a respecté le traité point par point, dit-il. Le Piémont, la Hollande, la Suisse dont il s’est fait médiateur, tout cela ne se trouve pas dans le traité. Il est en train d’agir pour que s’opère une réorganisation de l’Allemagne. Mais il en a le droit.
Withworth murmure :
— Le rapport du colonel Sébastiani…
Napoléon rejette le propos. Il n’est pas digne de deux grandes nations.
D’ailleurs, il peut rassurer Withworth. Il faut que Withworth l’écoute avec attention. Il se penche vers l’ambassadeur.
— Je ne médite aucune agression, dit-il. Mon pouvoir n’est pas assez fort pour me permettre impunément une agression non motivée. Il faut que vous ayez tous les torts.
Il se redresse.
Cet homme entend-il seulement ce que je lui dis ?
— Bien jeune encore, je suis arrivé à une puissance, a une renommée auxquelles il serait difficile d’ajouter, reprend Napoléon. Ce pouvoir, cette renommée, croyez-vous que je veuille les risquer dans une lutte désespérée ?
Il semble oublier la présence de Withworth. Il évoque les difficultés d’une traversée de la Manche pour débarquer en Angleterre.
— Cette témérité, Mylord, conclut-il, cette témérité si grande, si vous m’y obligez, je suis résolu à la tenter… J’ai passé les Alpes en hiver !
Il frappe sur la table.
— Vos derniers neveux pleureront en larmes de sang la résolution que vous m’aurez forcé à prendre.
Il se rassied. A-t-il convaincu Withworth ?
— Agissez cordialement avec moi, reprend-il, et je vous promets une cordialité entière. Voyez quelle puissance nous exercerions sur le monde si nous parvenions à rapprocher nos deux nations… Votre marine, et j’ai cinq cent mille hommes… Tout est possible dans l’intérêt de l’humanité et de notre double puissance à la France et à l’Angleterre réunies…
À quoi sert la franchise ?
Les Anglais n’acceptent pas une France forte. Napoléon interpelle Talleyrand le prudent, le précautionneux, qui veut continuer de négocier.
N’est-ce pas la rivalité commencée avec Louis XIV qui se poursuit ? Aggravée parce que je suis le couronnement de la Révolution. Et que les Anglais la refusent. Ils ne feraient sans doute pas la paix avec un Bourbon, mais avec moi, jamais !
Et le Bourbon est aux aguets. Naturellement, il a rejeté la proposition d’abdiquer en faveur de Napoléon.
Le 11 mars, Talleyrand demande à être reçu.
Il tend une dépêche à Napoléon, tout en expliquant que le discours qu’elle relate a peu d’importance – lord Withworth l’en a averti, n’est-ce pas ?
Napoléon parcourt en quelques secondes le texte du message adressé au Parlement par le roi d’Angleterre George III. George III réclame des crédits pour prendre des mesures de précaution…
— La guerre ! s’exclame Napoléon.
Talleyrand récuse l’interprétation. Lord Withworth a répété avec insistance qu’il ne s’agissait en rien d’une préparation des hostilités.
Napoléon veut garder son calme mais la colère monte. Peut-on attendre ainsi d’être souffleté ?
Durant deux nuits, il ne peut effacer de son esprit cette idée que Londres se joue de lui, qu’à la fin il y aura la guerre, que l’Angleterre la veut, après un an de trêve.
Il renvoie Mlle George, presque brutalement, la fait rappeler par Constant. Mais il n’a pas la tête à chanter, à rire ou à aimer.
Le surlendemain, dimanche 13 mars, est jour de réception du corps diplomatique. Il attend calmement le début de l’audience en jouant avec Napoléon-Charles, le fils d’Hortense.
L’un des préfets du palais, M. de Rémusat, annonce que les ambassadeurs ont formé le cercle et attendent le Premier consul. Tous sont présents, et, parmi eux, précise-t-il, lord Withworth.
Ce nom, comme un coup de fouet. Napoléon laisse l’enfant, entre dans le salon de réception, se dirige vers lord Withworth, ignorant les autres ambassadeurs.
— Vous voulez donc la guerre ! lance Napoléon. Nous nous sommes battus dix ans, vous voulez donc que nous nous battions dix ans encore ! Comment a-t-on osé dire que la France armait…
Il parle avec violence, rappelle le contenu des traités.
— Je ne suppose pas non plus que, par vos arrangements, vous
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