Le soleil d'Austerlitz
l’armée des Princes et dans les armées ennemies. Il en a été l’un des généraux les plus déterminés et les plus courageux. La police le surveille depuis des mois déjà. Le duc d’Enghien a multiplié les contacts avec les émigrés, les chefs du parti royaliste, et surtout ses anciens compagnons d’armes rentrés en France. Son grand-père, le prince de Condé, a négocié la trahison de Pichegru.
Napoléon serre le poing.
Voilà les fils qui se rejoignent. La conspiration qui se noue.
À plusieurs reprises, précisent les notes de police, le duc d’Enghien a vanté les mérites militaires du général Moreau. Un adversaire loyal et valeureux, a-t-il écrit.
Un prince de sang.
Le général Pichegru.
Le général Moreau.
Et Cadoudal, l’exécuteur.
Voilà la conspiration dénudée.
L’impatience rend Napoléon fébrile. Il voudrait agir lui-même. Mais le duc d’Enghien a peut-être quitté Ettenheim.
Chaque jour, Napoléon harcèle Réal. A-t-on le rapport du général Moncey ? Ses gendarmes ont-ils vu le duc d’Enghien à Ettenheim ?
Le 8 mars 1804, Napoléon, comme tous les jours durant ces semaines-là, est levé à l’aube.
Il bouscule Constant et Roustam, descend dans les appartements de Joséphine, sans être capable d’y demeurer. Puis il remonte dans son cabinet de travail. Qu’attend-on pour lui apporter les premières dépêches ?
Méneval dépose une lettre du général Moreau.
Napoléon la parcourt avec une moue de mépris. Moreau n’a ni le courage d’avouer, ni l’audace de revendiquer ses actes, ni l’intelligence de demander sa grâce. Il argumente, reconnaît ses contacts avec les conspirateurs et affirme que « quelque proposition qui m’ait été faite, je l’ai repoussée par opinion et regardée comme la plus insigne des folies ».
— Au juge ! lance Napoléon en tendant la lettre à Méneval.
Moreau en a suffisamment dit pour révéler qu’il a menti et qu’on l’a sollicité pour entrer dans une conspiration dont il a caché l’existence.
Fini, Moreau.
Méneval tend une lettre de Talleyrand.
Le ministre des Relations extérieures doit savoir déjà que je fais enquêter sur le duc d’Enghien .
« Si la justice, écrit Talleyrand, oblige de punir rigoureusement, la politique exige de punir sans exception. »
Habile Talleyrand. Fidèle par intérêt. Comme Fouché. Deux hommes sur qui je puis compter dès lors que la Fortune m’est favorable .
Elle l’est.
Réal entre dans le cabinet de travail, brandissant le rapport du maréchal des logis Lamothe, de la gendarmerie nationale, qui s’est rendu le 4 mars à Ettenheim.
« J’ai appris, écrit-il, que le ci-devant duc d’Enghien était encore à Ettenheim, avec l’ex-général Dumouriez… »
Napoléon rugit.
Dumouriez aussi ? ! Dumouriez, qui est passé à l’ennemi en 1793 ! Ils sont tous là, les traîtres, engagés dans cette conspiration d’envergure pour me tuer .
Il hurle, se précipite sur Réal.
Il le menace du poing. Le maréchal des logis Lamothe évoque aussi la présence à Ettenheim d’un Anglais, sans doute ce Spencer Smith chargé par George III de recruter des espions et des traîtres en les achetant.
— Comment ? ! crie Napoléon. Vous ne me dites point que le duc d’Enghien est à quatre lieues de ma frontière, organisant des complots militaires ? !
Il marche furieusement d’un côté de la pièce à l’autre.
— Suis-je donc un chien que l’on peut assommer dans la rue, tandis que mes meurtriers sont des êtres sacrés ?
Il revient vers Réal.
— On m’attaque au corps ! hurle-t-il. Je rendrai guerre pour guerre, je saurai punir les complots, la tête des coupables m’en fera justice !
Le 9 mars, à dix-neuf heures, Cadoudal est pris après une course poursuite de la place Maubert à la rue des Quatre-Vents, dans le quartier de l’Odéon. Il s’est défendu, a tué un agent et en a blessé un autre. La foule a aidé à ceinturer Georges.
On l’incarcère au Temple. La partie est presque gagnée.
Reste le prince.
— Ce n’est pas moi qui ai détrôné les Bourbons, dit Napoléon à Caulaincourt. Ils ne peuvent en vérité s’en prendre qu’à eux. Au lieu de les poursuivre, de maltraiter leurs amis, je leur ai fait offrir des pensions et j’ai accueilli leurs serviteurs.
Il montre à Caulaincourt le premier rapport d’interrogatoire de Georges Cadoudal. Il lit : « Cadoudal a reconnu pour être anglais un poignard trouvé
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