Le soleil d'Austerlitz
sera peut-être refermée.
Une dynastie. La Révolution couronnée, presque sanctifiée.
Il s’arrête au milieu des arbres que secoue le vent. Une dynastie.
Mais il n’est ni roi ni fils de roi. Il s’est lui-même donné naissance. Comme un empereur.
Le 15 mars, à vingt heures, il bavarde dans le salon de la Malmaison avec ces dames.
Il entend le galop d’un cheval, puis la voix du courrier qui saute sur les pavés de la cour, cependant que les domestiques s’affairent.
Il sort.
Le courrier est épuisé, crotté. Il a quitté Strasbourg le 14, à une heure trente. Il ne s’est arrêté que pour changer de cheval.
Napoléon a pris le pli, mais avant de l’ouvrir demande le nom du courrier. Thibaud ? Il félicite l’homme.
Puis, tout en marchant vers son cabinet, il lit la dépêche. Elle annonce que les troupes se sont mises en route vers Ettenheim sous le commandement du général Ordener.
Il faut attendre encore.
Une nuit, un jour, une nuit, un jour.
Il joue avec le fils d’Hortense. S’il adoptait cet enfant, ce pourait être le successeur légitime ; celui qui serait le premier dans la ligne dynastique, puisqu’il faut, s’il devient empereur, prévoir sa succession.
À dix-sept heures, ce 17 mars 1804, arrive le second courrier.
Tout en tendant les plis, épais ceux-là, le gendarme Amadour Clermont indique qu’il est parti de Strasbourg le 15 à vingt et une heures trente.
Qu’il se restaure, dit Napoléon.
Il entre dans son cabinet. Il ne doute pas du succès de l’opération.
Il décachette les plis, voit d’abord une liste de noms :
1. Louis Antoine Henri de Bourbon, duc d’Enghien.
2. Le général marquis de Thumery.
3. Le colonel baron de Grienstein.
4. Le lieutenant Schmidt.
Il parcourt les feuillets, découvre le nom de leur signataire. « Le chef du 38 e escadron de gendarmerie nationale Charlot. »
Il reprend la lecture.
« Le général Dumouriez, qu’on disait être logé avec le colonel Grienstein, n’est autre chose que le marquis de Thumery… J’ai pris mes renseignements pour savoir si Dumouriez avait paru à Ettenheim. On m’a assuré que non, et je présume qu’on ne l’y a supposé qu’en confondant son nom avec celui du général Thumery… »
Ni Dumouriez ni Spencer Smith n’étaient présents à Ettenheim, mais Thumery et Schmidt.
Napoléon relit, ligne après ligne.
Il laisse son esprit vagabonder. Aurait-il donné l’ordre d’enlever le duc d’Enghien s’il n’avait pas été persuadé de la présence de Dumouriez, dont la participation à la conspiration en confirmait l’ampleur ?
« Le duc d’Enghein m’a assuré que Dumouriez n’était pas venu à Ettenheim, écrit Charlot, qu’il serait cependant possible qu’il eût été chargé de lui apporter des instructions de l’Angleterre, mais qu’il était au-dessous de son rang d’avoir affaire à de pareils gens. »
Innocent, le duc d’Enghien ?
Que signifie l’innocence, quand on est prince de sang ? Qu’on a servi l’étranger contre sa patrie ?
Napoléon lit les dernières lignes du message de Charlot :
« Le duc d’Enghien estime Bonaparte comme un grand homme, mais qu’étant prince de la famille des Bourbons il lui a voué une haine implacable ainsi qu’aux Français, auxquels il ferait la guerre dans toutes les occasions… Il dit qu’il se repent de n’avoir pas tiré sur moi, ce qui aurait décidé de son sort par les armes. »
Napoléon ne retourne pas au salon où l’on bavarde.
La nuit est tombée. Les jeux sont faits. Le duc d’Enghien roule vers Paris sous bonne escorte. On l’enfermera au fort de Vincennes.
Quel sort pour cet homme ? La loi, toute la loi. Comme pour n’importe quel émigré qui aurait porté les armes contre la France. Et il l’a fait. Il sera donc jugé par une commission militaire de sept membres.
Napoléon ouvre la porte-fenêtre.
Il fait froid dans cette nuit du 17 au 18 mars 1804. Il entend les rires qui viennent du salon. Des musiciens jouent.
Si le duc est traduit devant cette commission militaire, la loi, celle du 28 mars 1793, celle du 25 brumaire an III, dit : « La mort. »
Dans la voiture qui, le dimanche 18 mars 1804, le conduit aux Tuileries, Napoléon se retourne vers Joséphine. Elle a le menton sur la poitrine et paraît accablée.
Depuis qu’il lui a annoncé ce matin l’arrestation du duc d’Enghien et son intention de le faire traduire en jugement, elle se tait et soupire.
Il
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