Le souffle du jasmin
Heureusement que son frère a l'air de
s'être calmé.
– Oui, je sais, il m'a
annoncé son intention d'aller au bout de ses études en communication. On verra
bien.
Taymour examina sa femme un moment avant de grommeler :
– Veux-tu la vérité ? La jeunesse
n'est plus ce qu'elle était !
*
C'était le branle-bas. Quelques heures après la visite du journaliste,
alertés par Hicham, les membres dirigeants du Cercle des officiers libres se
retrouvèrent dans la villa du général Naguib, située non loin du cabaret
Helmieh Palace. La proximité de ce lieu public avait permis aux conjurés de
mêler leurs voitures à celles des clients sans attirer l'attention de la
police.
Ils se retrouvèrent dix en tout. Bien que Hicham ne fit pas partie à
proprement parler du Cercle, Nasser avait souhaité sa présence.
– Par conséquent, conclut ce dernier,
nous devons modifier nos plans. Ce qui était prévu pour la fin août est avancé.
Ce sera ce soir, minuit. La situation s'y prête. Le gouvernement est
inexistant, la plupart des hommes politiques et des diplomates étrangers en
vacances en Europe ou en villégiature à Alexandrie. La voie est libre. Il est
urgent d'alerter nos compagnons absents du Caire, entre autres Anouar
el-Sadate, cantonné à la base aérienne d'El-Arich.
Il se tourna vers Hicham.
– Peux-tu t'en charger ?
– Bien sûr. Vous pouvez compter sur moi.
Puis Nasser exposa son plan.
*
23 juillet.
À 6 heures et demie du matin, les trilles du téléphone fracturèrent le
calme de la villa.
Maudissant l'importun, Taymour décrocha. Dans le tout premier instant,
il eut du mal à identifier la voix de Zulficar tant elle était fébrile et son
débit accéléré.
– Taymour, Taymour, écoute-moi ! Le
Caire est occupé par des militaires rebelles. Ils tiennent tout, les
ministères, le siège des téléphones, la radio, les gares, les aéroports,
tout... On voit des blindés passer dans les rues.
– Et... et les Anglais ?
– Pour l'instant, ils n'ont pas bougé.
À ce moment, le cuisinier sortit comme un fou de ses cuisines :
– La radio ! Vite... On va lire un
communiqué...
Taymour transmit l'information et raccrocha.
Il brancha le poste du salon au volume maximal et entendit une voix aux
accents solennels.
– L'Égypte vient de vivre la période la
plus sombre de son histoire, avilie par la corruption, désagrégée par
l’instabilité. Les facteurs de dissolution ont affecté l'armée elle-même et
constitué l'une des causes de notre défaite en Palestine. Commandée par des
ignorants, des traîtres ou des incapables, l'armée n'était plus capable de
protéger l'Égypte... »
Nour avait rejoint son mari.
Fadel, tiré de son sommeil par le tintamarre, apparut à son tour.
– Mais qui est cet individu qui
parle ? questionna-t-il.
– Chut !
– « C'est pourquoi nous nous sommes
épurés, l'armée est désormais entre les mains d'hommes intègres et patriotes en
qui vous pouvez avoir toute confiance. Les anciens responsables que nous avons
jugés utile d'arrêter seront libérés dès que les circonstances le
permettront. »
Les deux jardiniers vinrent se joindre à la domesticité assemblée.
– « Je saisis cette occasion pour
mettre le peuple en garde contre ses ennemis et pour lui demander de ne tolérer
aucun acte de violence ou de destruction, car de tels actes nuiraient à
l'Égypte ; ils seraient considérés comme un crime de trahison et punis
avec la plus extrême rigueur. Je tiens à rassurer tout particulièrement nos
frères, les étrangers, et à leur affirmer que l'armée se considère comme
entièrement responsable de la sécurité de leurs personnes, de leurs biens et de
leurs intérêts. Que le Tout-Puissant nous vienne en aide ! »
– Vous venez d'entendre le colonel Anouar
el-Sadate, annonça ensuite le speaker.
Taymour faillit tomber à la renverse. Sadate ? Von Sadat ? Le
Sadate qu'il avait connu ?
Un immense sourire s'étalait sur le visage de Fadel.
– Mabrouk [109] ! s'écria-t-il.
Ils ont réussi !
*
Une demi-heure plus tard, on entendit hurler dans la rue et aux portes
de la villa : « Vive la Révolution ! Tahia el sawra ! »
– Tout cela est très bien, lança Taymour,
mais qui va gouverner le pays ? Et nous ne savons rien de la réaction des
Anglais, ni de celle de Farouk. Mais le plus préoccupant : quelqu'un
pourrait me dire où est mon fils ?
Il
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