Le souffle du jasmin
intérieur. Aujourd'hui, nous
sommes plus forts que jamais. Nous avons lutté et nous avons triomphé !
Tonnerre d'applaudissements.
Nasser poursuit :
– En regardant l'avenir, nous sentons très bien que notre
lutte n'a pas pris fin. Il n'est pas facile, en effet, d'édifier notre
puissance au milieu des visées impérialistes et des complots internationaux. Il
n'est pas facile de réaliser notre indépendance politique et économique. Nous
avons encore devant nous toute une série de combats à livrer avant de pouvoir
vivre dignement.
La foule scande : « Nasser !
Nasser ! Nous sommes avec toi ! »
Lui sourit. Son sourire n'a jamais été aussi fauve qu'en
cet instant.
Il enchaîne :
– Depuis que l'Égypte a proclamé son indépendance, le
monde entier a les yeux braqués sur nous. Tout le monde tient compte de
l'Égypte et des Arabes. Autrefois, nous perdions notre temps dans les bureaux
des ambassadeurs et des envoyés extraordinaires ; mais aujourd'hui, alors
que nous nous sommes unis pour former un front national, ceux qui nous
dédaignaient ont commencé à nous craindre. La voix de l'Égypte est devenue plus
forte dans le domaine international et la valeur des Arabes plus grande.
Le bikbachi [110] fait le compte rendu
de la dernière conférence à laquelle il vient de participer, celle de Brioni, en
Yougoslavie. Il souligne le ralliement du président Nehru et de Tito à sa
politique de neutralité. Ensuite, il aborde les problèmes de l'indépendance
économique de l'Égypte, les problèmes de production, le revenu national et la
volonté d'engager le pays sur une voie autre que celle de la prière et de la
mendicité. Puis il aborde l'affaire des achats d'armes.
— En 1952, nous avons
commencé à parler de l'armement. Ils nous ont dit : « Vous n'aurez
rien si vous ne signez pas le pacte de défense commune », ce qui voulait
dire qu'une mission militaire britannique ou américaine viendrait ici, chez
nous, et s'occuperait des affaires de l'armée égyptienne. Nous avons répondu à
cela que nous n'aimons pas les missions militaires et que nous les connaissions
pour avoir un seul objectif, celui
d'affaiblir l'armée et la rendre impuissante. Nous leur avons dit que
nous voulions acheter les armes avec notre argent, et non à titre
d'assistance ; ils ont refusé. Ils n'ont voulu nous donner les armes que
contre signature du mandat établissant notre esclavage et portant atteinte à
notre souveraineté.
Un temps de silence. La voix monte d'un ton :
— Alors, nous avons acheté les armes... en Russie ! Oui, je dis en
Russie, et non en Tchécoslovaquie ! Après cela, quelle histoire ! On
a dit : « Ce sont des armes communistes. » Je demande : y a-t-il des armes communistes et des
armes non communistes ? Les armes, dès qu’elles arrivent sur le sol
égyptien, s'appellent des armes égyptiennes ! Ensuite, ils nous ont dit
qu'ils avaient un plan pour l'équilibre des forces dans le Moyen-Orient. Mais
quel est cet équilibre qui fait qu'on donne un fusil à soixante-dix millions
d'Arabes pour deux fusils à un million de sionistes et un avion pour les uns et
deux pour les autres ! Et puis, qui a fait de vous nos tuteurs ? Qui
vous a demandé de vous occuper de nos affaires ?
La foule est en délire.
Taymour et Nour sont sidérés.
Le ton employé, le langage n'ont rien en commun avec ce que les
Égyptiens ont connu jusqu'alors. Cet homme est de leur terre, il est de leur
chair. C'est la première fois depuis des siècles que le peuple égyptien est
dirigé par un Égyptien. Quelqu'un qui leur parle comme ils parlent. Baladi. Le langage de l'homme de la rue, celui
du petit repasseur, du bawab, du portier, du moins que rien.
Ce soir, la légion des anonymes a trouvé son interprète. À leurs yeux,
Nasser n'est pas leur président, mais leur père, leur frère, celui qui a pris
leurs douleurs et leurs frustrations pour les jeter à la face du monde.
Il fait un geste pour ramener le silence et enchaîne :
— Après cela a commencé la lutte pour récupérer notre canal, et chacun
de vous sait combien nous avons sacrifié et combien nombreux sont ceux qui sont
morts sur le champ d'honneur au cours de nos affrontements avec les Anglais.
Cette lutte, on la retrouve partout dans le monde arabe. Contre l'impérialisme
de la France en Afrique du Nord ; contre l'Amérique et tous les pays du
Pacte atlantique qui ont oublié les principes
Weitere Kostenlose Bücher