Le souffle du jasmin
indépendance et de rejeter
toutes les formes d'ingérence et de lien avec l'étranger. Quant à votre souhait
de négociation, son but ne me semble pas être clair et je n ai pas confiance
dans vos intentions. Nous n’y donnerons pas suite.
La lettre
était signée cheikh El-Isfahani. La personnalité religieuse la plus écoutée du
moment.
Elle
glissa la missive dans son enveloppe et retourna s'asseoir à son bureau. Ces
écrits démontraient l'urgence d'en finir avec son découpage. Bien sûr, il était
tout aussi vital de calmer le jeu. Or, pour ce faire, il manquait un élément
essentiel. Trouver un maître pour ce futur pays, un personnage qui serait
accepté, voire plébiscité par les Irakiens et qui, dans le même temps, se
montrerait assez « coopératif » avec le gouvernement britannique. Une
marionnette, en somme.
Aux yeux
de Gertrude, un seul homme réunissait ces critères. Elle devait soumettre
l'idée au haut-commissaire, sir Arnold Wilson, sans plus tarder.
Emportant
la future carte de l'Irak, elle quitta le bureau.
*
Chez Nidal el-Safi, au même moment
Chams, mon
fils, à quoi penses-tu ? Depuis ton retour de Syrie, je te trouve
soucieux. Toi, que j'ai toujours connu plein d'exubérance, facétieux par
moments, tu ne parles presque plus. Tu t'es glissé dans une coquille et ne
sembles plus vouloir en sortir.
Chams but
une rasade de jus de grenade et garda le silence.
Alors
Dounia s'autorisa à intervenir :
– As-tu un problème ?
Elle osa
une pirouette.
– Si tu ne veux pas en parler avec
ton père, tu sais que ta tante adorée est là, n'est-ce
pas ? À moi tu peux tout dire.
Le jeune
homme grommela et changea de sujet.
– Comment les choses se
passent-elles en Syrie, maintenant que les Français ont écrasé tout le
monde ?
– Lorsque j 'y étais,
c'est-à-dire voilà deux semaines, le pays était
en pleine ébullition. Le haut-commissaire
a menacé les nationalistes des pires représailles, mais, à mon avis, ils vont lui mener
la vie dure.
– Tu comptes retourner à Alep ?
– Bien sûr. D'ailleurs, si tu as
envie de venir passer quelques jours, tu es le
bienvenu.
– Non, ma tante, enfin...
je ne sais pas. Je veux seulement me rendre utile.
– Qu 'est -ce qui te
prend ? s'enflamma Nidal. Te rendre utile ? Tu ne crois pas
que tu t'es assez rendu utile en combattant dans les rangs des Turcs, puis de
Fayçal ? Tu aurais pu mourir.
– Utile ? Moi ? J'ai
surtout été contraint de me battre dans des rangs ennemis, qu'il s'agisse des
Turcs ou de l’émir.
– L'émir, un ennemi ?
– Évidemment ! Autant il a
soulevé en nous un élan d'espoir, autant il s'est révélé n'être rien qu'un
pantin entre les mains de son ami Lawrence et des Anglais. Non ! Ne me dis
plus jamais que je me suis rendu utile.
– Calme-toi, gronda Nidal. Inutile
de te mettre dans ces états.
– Allons, Chams. Ton père a raison.
– Mais j'étouffe ! Je crève de
rester enfermé ici alors que tous les jours mes frères tombent sous les balles.
J'en crève ! En Égypte, en Syrie, en Palestine, partout des gens se sont
levés et refusent de vivre en esclavage. Et moi ? Moi, je suis ici, dans
le confort d'une magnifique demeure, à siroter un jus de grenade et à compter
les rides du fleuve. Est-ce digne d'un homme ?
– Reprendre tes études, travailler à
mes côtés ne te paraît pas suffisamment digne ? Toi, Dounia, dis-lui,
explique-lui. Il a déjà risqué sa vie. C'est un miracle qu'il soit encore parmi
nous. Dis-lui...
Dounia
ouvrit la bouche, prête à défendre la cause de son frère, mais Chams partait
déjà dans sa chambre.
– Il a perdu la tête, souffla Nidal,
consterné. Qu'est-ce qu'il imagine ? Il n'est pas donné à tout le monde
d'être Gilgamesh [62] !
Dounia
leva les yeux sur son frère.
– Tu as raison. Il n'est pas donné à
tout le monde de l'être.
Elle
ajouta à voix basse :
– Sauf à ton fils.
Quatrième
partie
14
Les
hommes de haine restent en vie, les conciliateurs sont morts.
Proverbe africain.
Jérusalem, décembre 1920
Soliman et sa sœur venaient d'arriver en vue de
l'esplanade du Temple, le El-Haram el-Charif des
musulmans, que les chrétiens appelaient le mont du Temple et les Juifs Har
Habait . Jérusalem, troisième lieu saint de
l'islam après La Mecque et Médine. Jérusalem, fille de toutes
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