Le talisman Cathare
de Cîteaux, qui a exigé la conversion ou le bûcher. J’ai vu Simon supplier les hérétiques de choisir la vie plutôt que la souffrance dans les flammes. Je l’ai vu pleurer de dépit quand ils ont tous refusé, sauf trois femmes, trois novices. “Ni la mort, ni la vie ne pourront nous arracher à la foi à laquelle nous sommes attachés”, lui fut-il répondu. J’ai vu cent quarante Parfaits et Bonnes Chrétiennes se précipiter d’eux-mêmes dans le brasier. C’était le premier incendie que le sire de Montfort allumait, et je vous jure que seslarmes étaient sincères. Pourtant, c’est le même homme qui décida un peu plus tard de la boucherie de Lavaur où le monde chrétien fut souillé de honte ignoble ! »
Un lourd silence plana quelques minutes sur la pièce sombre. Il semblait qu’un froid soudain se fût emparé de l’assistance, malgré la tiédeur de l’été. Des images d’Apocalypse flottaient dans les têtes.
« Je maudis mon frère d’envoyer ce bourreau sur nos terres périgourdines. Son avidité et sa jalousie n’ont point de limite, dit Alix à son époux.
— S’il n’y avait que lui ! Archambaud, le comte du Périgord, y a autant d’intérêts. Voilà longtemps qu’il ne règne plus sur le Sarladais. La croisade lui offre les moyens de rétablir son autorité. Quant à Raoul de Lastours, l’évêque de Périgueux, il a lui-même écrit au pape pour que Simon vienne “extirper la peste” de notre région. Et l’abbé de Sarlat, Hélie Vignon, a cosigné la lettre. Nous sommes bien seuls face à des ennemis innombrables. »
Augustin s’adressa au jeune couple et leur parla de paix, de cette paix que, selon lui, l’Église avait essayé d’imposer en condamnant les soudards, en instaurant des sauvetés sur ses terres, en éduquant les chevaliers pour en faire des serviteurs du Christ.
« Il vous faut cesser la guerre, et tenter de faire régner pacifiquement vos idées généreuses. L’usage de la violence est condamné par les Évangiles tout autant que par la foi cathare. La paix est le corollaire de l’amour du prochain. “Paix sur la terre aux hommes de bonne volonté.”
— Mon bon Augustin, lui répondit Bernard, ton Église est la première à lever des armées contre nous.
— Devons-nous pécher parce qu’il y a des pécheurs ?
— Non, mais nous devons nous défendre. La vie est ainsi, pleine de violence. L’Église cathare, elle, prêche et vit dans la paix. Elle est totalement non violente. Jamais on n’a vu un Parfait prendre les armes. Alors, c’est à nous, les féodaux occitans, de le faire à leur place. C’est notre devoir.
— Tu risques d’y perdre ton âme !
— Je ferai mon salut dans une autre enveloppe corporelle. Tu es moine et je suis chevalier. Va rejoindre ceux qui prient pour la paix ; moi j’ai à me battre. »
11
« C’est une belle place, messire comte, très forte, bien située et bâtie en un lieu agréable, sur les hauteurs de la Dordogne. »
L’immense armée croisée occupait la plaine, sur la rive droite du fleuve. À cent cinquante mètres au-dessus d’elle, sur un promontoire rocheux, pointait la silhouette menaçante d’un château fort. Les arrogantes bannières des Français, Bourguignons, Flamands et Bretons fleurissaient comme un verger à la récolte prometteuse. L’abbé de Sarlat, qui avait pris la croix pour quarante jours, chevauchait au côté de Montfort. Fort gros et bien nourri, le bonhomme se tenait sur sa monture avec l’élégance d’un sac et provoquait les quolibets des routiers. Il n’en avait cure. Bavard par nature, il continuait son rôle de guide.
« On le nomme “château du Roi”, mais nul ne sait à quel souverain, chrétien ou barbare, il doit son titre. Il passe pour imprenable, et l’un des plus forts de Guyenne.
— Peu importe sa réputation : il tombera comme les autres. Contre l’armée croisée, il n’est de roc qui ne s’effondre en poussière, ni de rempart qui tienne. »
Le comte entreprit de faire passer l’eau à ses troupes au gué de Cénac. Puis ils commencèrent l’escalade vertigineuse du mont de Domme. Ils progressaient lentement, avec la prudence de chasseurs, conscients qu’une poignée d’hommes déterminés aurait suffi à les culbuter au plus profond de la rivière. La courte végétation qui parsemait le sol en bouquets épars pouvait dissimuler bien des pièges. Après plusieurs heures d’efforts, ils prirent pied sur le
Weitere Kostenlose Bücher