Le talisman Cathare
»
Alix avait pâli en entendant ce nom. Depuis leur différend religieux, elle n’avait plus aucun contact avec ce frère jaloux et versatile.
« Qu’espère-t-il gagner dans cette affaire ?
— Tout d’abord, faire oublier que son père était le principal allié de Raymond de Toulouse ….
— Mais encore ?
— Il veut vos terres ; il n’a pas renoncé à s’emparer de Castelnaud, Domme et Montfort. C’est le prix qu’il réclame pour son ralliement. »
Devant Casseneuil, le siège progressait régulièrement. Bien encadré par les ingénieurs et les maîtres charpentiers de l’archevêque de Bordeaux, Montfort avait fait fabriquer des ponts flottants pour franchir le Lot, puis une grande tour à étages d’où les arbalétriers décimaient les rangs des défenseurs, tout en se tenant à distance et en protégeant les sapeurs qui comblaient les fossés à l’aide de terre, de pierres et de bois. Les assiégés tentèrent d’incendier l’édifice, mais les peaux de bêtes qui le protégeaient, régulièrement arrosées, réduisirent leurs efforts à néant. Le 18 août 1214, un ultime assaut fut donné de nuit, provoquant la fuite des mercenaires agenais. Tous les habitants de Casseneuil furent passés au fil de l’épée.
« Béni soit Dieu en toute chose, écrivit le chroniqueur de la croisade, Lui qui a livré les impies. »
Deux semaines plus tard, Simon de Montfort était à Sarlat où l’abbé Hélie Vignon l’accueillit avec grande joie. « Loué soit Notre-Seigneur. Le châtiment suprême va s’abattre sur les fils de Satan. Pour l’heure, ils répandent encore le venin et le fiel, empoisonnant les âmes chrétiennes. Mais bientôt, il en sera fini. Voyez, messire comte, ces hommes sans mains et sans pieds, les yeux crevés, cesfemmes aux mamelles coupées, que le tyran et son épouse ont mutilés par centaines. »
Devant ces corps amputés qu’abritait toujours l’abbaye bénédictine, le chef des croisés prêta un serment solennel.
« Moi, Simon de Montfort, je jure de réduire en charnier tout château résistant et toute ville rétive. Tous les habitants, de l’aïeul au nouveau-né, seront exécutés ; et ce que je dis, je l’ai déjà fait afin que l’on sache que mes paroles ne sont pas vaines. Une salutaire épouvante se lèvera chez nos ennemis et nul n’osera plus braver la croix de Dieu. »
Un conseil de guerre restreint réunit dans la salle seigneuriale de Castelnaud Bernard, Alix et leur ami Gaillard de Beynac.
« Que pesons-nous face à l’armée croisée ? Nous ne pourrons résister devant pareille force. Après quelques jours de repos à Sarlat, Montfort va marcher sur nos châteaux de la vallée de la Dordogne. Je propose que nous nous dérobions devant lui, pour éviter l’anéantissement. Il frappera dans le vide, s’épuisera, et nous pourrons alors harceler ses arrières.
— Un Beynac ne rompt pas, même devant plus fort que lui. Je résisterai et ne rendrai jamais hommage à ce félon.
— Tu n’es pas cathare, et le roi de France est ton ami. Tu risques moins que moi, et je dois rester en vie pour défendre notre cause qui est en grand péril. »
Portant subrepticement la main sous sa tunique, il toucha son talisman. Le moment approchait-il, où il devrait l’ouvrir et dévoiler le secret de leur salut ?
« À l’image de mon maître, Raymond, le véritable comte de Toulouse, je dois protéger tous les croyants, quelle que soit leur religion, reprit Bernard.
— Je crains bien que cela ne vous soit pas d’un grand secours, glissa Augustin qui s’était joint à eux. Montfort a l’habitude de massacrer tous ceux qui s’opposent à lui, cathares ou catholiques. Je l’ai vu à l’oeuvre à Lavaur, où il a laissé violer la châtelaine par ses soudards et pendre de beaux et nobles chevaliers.
— Ce maudit détruit notre culture pierre après pierre. Les chants des troubadours se sont tus, remplacés par le Te Deum des bourreaux et le Veni Creator qui accompagne les flammes des bûchers.
— J’ai pu approcher Montfort, c’est un homme curieux, reprit le moine. Il vous ressemble un peu, messire de Cazenac. Tant de violence associée à tant d’émotions !
— Les cantos et les sirventes bien scandés lui tirent-ils des larmes ?
— Non pas, je ne le crois pas féru de fin’amor . Mais à Minerve, après sa victoire, il était prêt à laisser librement partir les cathares. C’est Arnaud Amaury, l’abbé
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