Le temps des adieux

bande.
    — Vraiment ? J’étais justement en train de me demander si Nonnius et toi aviez comploté contre Balbinus ensemble parce que vous aviez une liaison ?
    Elle partit d’un grand éclat de rire.
    — Il n’y a vraiment qu’un homme pour croire qu’une femme va mélanger l’amour et les affaires.
    — Tu n’éprouvais aucun sentiment pour Nonnius ?
    — Non.
    — Tu nous as déclaré que tu le haïssais et tu as pourtant monté cette combine avec lui.
    — Et alors ? C’est pas parce que je le détestais que je devais me priver de l’utiliser, si ?
    — Tu nous as raconté pas mal de mensonges. Pourquoi dirais-tu la vérité sur Nonnius maintenant ?
    — Parce qu’il est mort. Dès que j’ai appris sa mort, j’ai deviné que Balbinus était de retour. Vous auriez pu le deviner tout comme moi.
    — On a d’abord pensé que Flaccida avait fait assassiner Nonnius.
    — Oh ! elle a aussi trempé dans ce meurtre, c’est certain. On raconte que ça s’est passé dans sa maison et qu’elle a assisté à la scène en jubilant. C’est elle qui lui a fourré la tête dans ce pot.
    — Je peux très bien imaginer cette sorcière agir ainsi. Balbinus se cache dans sa maison ?
    — Ça m’étonnerait. Il est pas aussi bête. Il sait bien que c’est le premier endroit que les vigiles viendront fouiller.
    En revanche, elle avait l’air de sous-entendre clairement qu’eux étaient stupides, ou du moins très prévisibles.
    — Eh bien, je te remercie. C’était aimable de ta part de coopérer.
    — Si vous n’aviez pas réalisé que Balbinus se trouvait à Rome, je vous l’aurais appris moi-même.
    Elle s’en était pourtant bien gardée.
    Je me levai. Pendant un instant, j’eus vaguement l’impression qu’elle allait m’empêcher de partir. Je me préparai mentalement à résister à une attaque qui n’aurait rien d’érotique.
    — Tu as peur de quelque chose, Falco ?
    Elle connaissait les hommes. C’était son métier.
    — Non, mais toi tu devrais avoir peur. Balbinus va vouloir se venger.
    — Oh, non ! Je crois que j’aurais tort de m’inquiéter !
    Elle avait l’air sincère. Elle avait forcément une bonne raison. J’aurais payé cher pour la connaître. Elle se releva avec grâce pour saluer mon départ et ajouta :
    — Balbinus ne va pas faire de vieux os à Rome ! (Là-dessus, elle m’adressa son sourire le plus séduisant et le plus dangereux avant de poursuivre :) De toute façon, s’il reste à Rome maintenant que vous allez vous lancer à sa recherche, c’est comme s’il était déjà mort, non ?
    Je lui répondis qu’elle n’avait nul besoin de se montrer sarcastique et pris congé.
    Nonnius avait espéré remplacer Balbinus Pius à la tête de son empire du crime, mais Nonnius était mort. Après la fuite ou l’élimination de Balbinus, qui Lalage aimerait-elle voir aux commandes ?
    Elle était compétente et ambitieuse. Et très intelligente, je le savais depuis des années.

53
    Il n’y avait aucune chance que Petronius m’accueille avec des gâteaux aux amandes si j’allais lui rapporter les derniers renseignements que je venais d’obtenir. Apprendre que Nonnius avait vu clair dans son jeu ne ferait que réveiller tous ses vieux griefs contre moi. Alors je ne voyais pas l’utilité de le mettre en garde. Il savait que Balbinus Pius était de retour et pouvait lui-même apprécier le danger qu’il courait. En réalité, je n’avais appris de Lalage que la vérité sur les événements déplaisants qui avaient conduit l’empereur du crime devant ses juges. La patronne du lupanar m’avait laissé entendre qu’elle tenait Balbinus d’une façon ou d’une autre. Mais c’était trop vague pour être utilisable. Et il pouvait même s’agir d’un simple coup de bluff.
    Toutefois, j’avais l’impression de mieux appréhender la situation. Il fallait maintenant se concentrer sur une chose : coincer Balbinus Pius. Je décidai de risquer une nouvelle entrevue avec Flaccida.
    Trop tard : quand j’atteignis sa maison, de l’autre côté du Circus Maximus, les vigiles étaient déjà à pied d’œuvre. J’avais dû passer plus de temps à l’Académie de Platon que je ne le croyais. Je n’étais probablement pas le premier homme à éprouver ce sentiment.
    Les funérailles de Linus étaient achevées, et Petronius avait dû expédier la purification rituelle pour mener lui-même les fouilles.
    Pâle et rigide, Flaccida se