Le temps des adieux
non plus sur le gros rouge. Son visage bouffi et rubicond l’attestait. Maia le nourrissait bien et essayait de le tenir propre, mais c’était un sacré travail. Sur sa tunique préférée, couleur de vase, il attachait un tablier de cuir abîmé à l’aide d’une vieille ceinture où pendaient des instruments bizarres, dont certains étaient de son invention. L’effet décoratif était assuré, mais je ne l’avais jamais vu utiliser aucun d’entre eux pour soigner un cheval blessé ou malade.
Je le trouvai assis sur un tonneau dans les écuries, en train de discuter avec des visiteurs. Un cheval boiteux attendait patiemment. Il avait l’air de connaître Famia et prenait son mal en patience.
— Oh ! Falco ! Salut à toi. J’ai entendu dire que tu avais réussi ton coup !
— Si c’est une référence vulgaire à ma future paternité…
— Ne fais surtout pas l’idiot… J’espère qu’Helena va s’en débarrasser.
— Pourquoi dis-tu ça ?
— Oh ! c’est ce que Maia m’a laissé entendre.
Comprenant soudain qu’en poursuivant de la sorte, il risquait de prendre mon poing sur la figure, il se tut. Famia ne pouvait imaginer une fille de sénateur donnant naissance à un fils d’enquêteur. De toute façon, il était inutile de lui parler d’une manière sensée si on ne voulait pas perdre son temps.
Mais ce salopard avait réussi à me rendre furieux. Difficile de le nier.
Je n’osais croire que mon beau-frère connaissait Florius, mais ce dernier étant un joueur invétéré, il risquait de connaître quelqu’un qui le fréquentait. Je savais cependant qu’il me faudrait le reste de la journée pour lui soutirer le renseignement. Famia aimait se faire prier.
Et effectivement, il me fallut une partie de l’après-midi. Il finit par m’adresser à un ancien conducteur de char qui possédait une écurie près du Champ de Mars.
Une autre raison rendait une rencontre avec Florius difficile : il était un ferme supporter des Blancs. J’eus du mal à en croire mes oreilles en l’apprenant. Par Junon, les Blancs ? Même les Rouges étaient moins impopulaires. Pas étonnant qu’un supporter des Blancs souhaite rester invisible.
L’ancien conducteur de char me confia qu’il espérait voir Florius un peu plus tard. Il ne m’en considérait pas moins d’un œil soupçonneux. Les gens ne pensent jamais qu’un enquêteur puisse avoir une bonne raison de rechercher quelqu’un – lui annoncer un héritage inattendu, par exemple. J’étais persuadé qu’il allait prévenir Florius de ma visite, en lui conseillant de m’éviter. Voilà pourquoi, après avoir annoncé que je reviendrais dans une heure, je me dissimulai dans le bar à vin le plus proche. Du moins pourrais-je étancher ma soif.
Le vilain hypocrite sortit de chez lui presque immédiatement, enveloppé dans une immense cape. Je m’empressai naturellement de le suivre discrètement après avoir avalé mon gobelet en une seule gorgée. Il rencontra Florius au Panthéon. Sans doute leur lieu de rendez-vous régulier. Je pris garde de me tenir à l’écart, mais ni l’un ni l’autre ne paraissait se cacher. Mettant ma main en visière pour protéger mes yeux des reflets du soleil couchant sur les tuiles dorées de la coupole, je ne les quittai pas du regard alors qu’ils ne regardèrent pas une seule fois dans ma direction. Ils discutèrent un petit moment, puis l’ancien conducteur de char s’éloigna. Florius, lui, s’assit tranquillement au milieu de la forêt de colonnes du portique d’Agrippa. Il se mit à inscrire des chiffres sur une tablette. Je traversai l’espace qui nous séparait sans plus hésiter et m’approchai pour lui parler.
Florius ne payait vraiment pas de mine. Il était plutôt difforme – beaucoup trop gras pour son propre bien –, et bien mal attifé. Sa tunique, décorée sur le devant de plusieurs taches de saumure, empestait le poisson et pendouillait de tous les côtés. La bourse pendue à sa ceinture était si vieille que le cuir en était tout fendillé de craquelures noirâtres. Ses bottes qui lui montaient jusqu’aux genoux avaient dû, jadis, être fort belles – mais leur état déplorable permettait mal d’en juger. Quand on voyait sa coupe de cheveux, on n’éprouvait aucune envie de lui demander les coordonnées de son barbier. Il portait la bague de l’ordre équestre auquel il appartenait, plus un sceau gravé dans l’hématite et d’autres
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