Le temps des adieux
cils.
— Arrête de jouer les Thaïs avec moi, soupirai-je. Tu t’appelles Rillia Gratiana, et tes parents tenaient une boutique près de la Cour de la Fontaine.
Elle n’essaya pas de le nier. Pas plus qu’elle ne m’encouragea à m’engager plus avant sur le chemin des souvenirs.
— Je dirige ce bordel, Falco. Et je le dirige bien. Je m’occupe des filles, je contrôle les clients, j’organise des distractions épicées, je tiens les comptes, j’obtiens les licences nécessaires, je paie le loyer et les notes d’épicerie. Et si nécessaire, je balaye les escaliers et presse les furoncles du portier. C’est ça, ma vie.
— Et pour toi, le passé ne présente aucun intérêt ?
— Bien au contraire. Mes parents m’ont transmis leur connaissance approfondie de la cité et la base du commerce.
— Tu les vois toujours ?
— Ils sont morts depuis des années.
— Tu veux savoir comment je connais tout ce qui te concerne ?
— Te fatigue pas ! Tu es enquêteur. Et tu peux me raconter ce que tu voudras, c’est pas ce qui va m’impressionner.
— Est-ce qu’un bordel n’est pas l’endroit où les hommes disent la vérité sur eux-mêmes ?
— Les hommes ne disent jamais la vérité, Falco.
— Sans doute parce que nous ignorons ce qu’est la vérité… Alors est-ce que je peux faire appel à ta sympathie, en souvenir d’un passé commun sur l’Aventin ?
— Non, répondit-elle sans détour.
En regardant la cicatrice de son oreille, j’éprouvais pourtant une certaine nostalgie. Elle-même ne devait plus y penser depuis longtemps.
Chacun dans notre domaine, nous étions des professionnels, et par une sorte d’accord tacite nous nous détendîmes. Jusqu’à ce moment-là, nous n’avions encore cédé de terrain ni l’un ni l’autre. Après que le silence entre nous se fut prolongé un moment, je vis Lalage se mettre à jouer nerveusement avec la fermeture de son bracelet. Peut-être faiblissait-elle ?
— Dis-moi donc enfin ce qui t’amène ici, demanda-t-elle.
— Je t’apporte le message d’un ami.
— Oh ?
— Franchement, tu me rends dingue avec ce truc. Enlève-le, je vais le réparer.
Surprise, elle me jeta le bracelet sur les genoux. Il était magnifique. De l’or finement travaillé dans lequel étaient serties des émeraudes. Un bijou de grand prix pourvu de l’habituel fermoir de piètre qualité.
— Tu as des pinces ? demandai-je.
Elle ne tarda pas à me fournir une série de six ou sept pinces de tailles différentes attachées par un grand anneau.
— C’est toujours la même chose avec les joailliers. Ils passent des jours et des jours à travailler l’or et à sertir les pierres, et ensuite ils sabotent le fermoir.
Après avoir replacé le bracelet autour de son poignet, je gardai sa main qu’elle ne tenta pas de me reprendre. Je la tenais d’une façon amicale en la regardant droit dans les yeux.
— Balbinus est de retour à Rome.
Elle ferma à demi ses beaux yeux. Il me fut impossible de deviner si elle entendait cette information pour la première fois.
— C’est une mauvaise nouvelle, commenta-t-elle.
— Pour tout le monde. Est-ce que des vigiles sont passés te voir ?
— Pas depuis ta visite en compagnie de ton grand ami.
— Tu saisis les implications aussi bien que moi ? insistai-je.
— Ce que je sais, dit-elle, c’est que Balbinus a été condamné. Et qu’il risque la peine de mort s’il remet les pieds à Rome. Alors que peut-il faire ?
— Pas mal de choses. La quatrième cohorte a perdu du temps à essayer de trouver qui avait chaussé ses bottes, et c’était personne. Les cambriolages de l’Emporium et de la Julia Sæpta ont été organisés par lui, sans aucun doute. Et les deux meurtres sont également à inscrire à son actif.
— De quels meurtres veux-tu parler ? demanda-t-elle, uniquement pour me provoquer.
— Ne joue pas à ce jeu-là avec moi, Lalage !
— Si tu n’as pas envie de payer pour utiliser mes services, rétorqua-t-elle, je voudrais que tu me rendes ma main.
Je soutins son regard cynique et écartai brusquement les doigts, laissant retomber son bras.
— Je veux parler de Balbinus, insistai-je.
— Pas moi !
Je la dévisageai longuement en silence. Malgré le maquillage savant, de fines rides apparaissaient au coin de ses yeux magnifiques.
— Tu parais bien fatiguée. Et ton établissement est trop calme. Que se passe-t-il, Lalage ? Tu fais
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