Le temps des adieux
d’agir dans la précipitation, je préférais continuer la surveillance toute la soirée et toute la nuit.
Au cours de l’après-midi, trois autres personnages douteux attirèrent notre attention. Ils sortaient également du lupanar.
— Tu as envie de te dégourdir les jambes ? demandai-je à Martinus.
Il ramassa son damier et ses pions d’un seul geste, et nous emboîtâmes le pas à nos trois suspects. Il fallait que nous les filions tous les deux au cas où ils se sépareraient.
Pour un garçon qui avait été aussi bien élevé que moi sur l’Aventin, les observer fut très instructif. Deux d’entre eux pénétrèrent dans une gargote et, sous prétexte de manger des feuilles de vigne farcies, ils parvinrent à délester les autres clients de leur argent avec une habileté déroutante. Le troisième larron s’attardait sur le seuil comme s’il n’avait rien à voir avec les deux autres. Quand un client s’aperçut de la disparition de sa bourse au moment de payer, il ne tarda pas à comprendre quels étaient les coupables. Les deux compères détalèrent alors avec un bel ensemble. Tous ceux qui venaient de s’apercevoir qu’on les avait soulagés de leurs espèces sonnantes se lancèrent à leur poursuite… et le troisième complice s’empressa de leur indiquer une mauvaise direction.
Martinus et moi nous séparâmes pour marcher chacun d’un côté de la rue en continuant de filer nos trois lascars qui se dirigeaient maintenant vers le Forum. L’endroit grouillait de monde. Les marches de tous les temples étaient occupées par des changeurs d’argent et des vendeurs à la sauvette. Les trois individus commencèrent par détrousser un ivrogne près de la Maison des Vestales. Et comme si cela ne suffisait pas, l’un d’eux le gratifia d’un méchant coup de botte. La bande de Balbinus était vraiment composée des pires salauds.
Ils se glissèrent ensuite parmi les marchandes de poisson et les vendeurs de toutes sortes de denrées, prélevant discrètement ce qui les tentait au passage : saucisses, fruits, petits pains… Il n’était naturellement jamais question de payer. Arrivé à un certain point, il nous fut impossible de continuer à les observer sans les arrêter. Et c’est quelque chose que nous devions éviter à tout prix, si nous ne voulions pas donner l’alarme à l’Académie de Platon.
Furieux, je rebroussai chemin à travers le Forum, suivi de Martinus qui se trouvait dans le même état d’esprit que moi. Nous nous arrêtâmes quelques instants pour souffler à l’ombre du temple du Divin Julius et en profitâmes pour faire le point.
— Ce que tu as découvert porte la marque de Balbinus, affirma mon compagnon.
Il paraissait très déprimé.
— Tu crois qu’on a perdu notre temps en suivant ces trois vauriens ? demandai-je.
— Si on les avait fourrés en cellule, ça n’aurait pas changé grand-chose, Falco. La relève est assurée, tu peux me croire. Rome ne manque pas de tireurs de bourses.
— Si c’est ce que tu penses, pourquoi fais-tu ce genre de travail ?
— À la vérité, je me pose souvent la question ! avoua-t-il en poussant un grand soupir.
Je ne fis aucun commentaire. Je connaissais Petro depuis assez longtemps pour savoir que ce genre de découragement s’emparait souvent des vigiles. Il les poussait même parfois à démissionner. Toutefois, le plus souvent, ils se contentaient de râler un bon coup puis de soigner leur dépression avec une amphore de vin. Avant de reprendre le collier comme si de rien n’était. Étant donné leur paye ridicule, leurs conditions de travail si éprouvantes et l’indifférence traditionnelle de leurs supérieurs, les plaintes semblaient aussi inévitables que compréhensibles.
Les bras croisés, le derrière proéminent, Martinus observait machinalement les passants. Ses grands yeux remarquaient absolument tout. Je n’avais pas oublié qu’à Ostie, tandis que nous attendions l’arrivée de Balbinus, c’était lui qui nous avait prévenus à temps de son arrivée imminente.
— D’après toi, qu’est-ce qu’on devrait faire maintenant ? demandai-je pour le secouer un peu.
Naturellement, j’avais forgé mes propres convictions. D’après moi, l’Académie de Platon était devenue le quartier général de Balbinus Pius et de ses sbires.
— Le plus important est d’apprendre si Balbinus se cache effectivement dans le bordel. (Jusque-là, j’étais d’accord avec lui.)
Weitere Kostenlose Bücher