Le temps des adieux
Mais Tibullinus avait une façon bien à lui de patrouiller sur le mont Palatin : il passait son temps à rire avec ses nombreuses connaissances. Et il était tellement occupé à plaisanter qu’il ne nous aperçut même pas.
Nous conduisîmes notre nouvel ami dans la caupona où nous avions passé une partie de la journée. Cette fois-ci, nous fûmes beaucoup plus directs avec la vieille femme : nous lui laissâmes le choix entre aller passer les deux prochains jours chez une amie, ou en cellule. Après avoir écouté notre proposition, elle se rappela qu’elle avait une sœur qui souhaitait la voir depuis longtemps et s’en alla sur-le-champ. Nous étions désormais tranquilles dans notre poste d’observation.
Le plus difficile fut de préparer Igullius à ce que nous attendions de lui.
— La maison que tu vois là-bas est le Berceau de Vénus.
— C’est chez Platon.
— Tu connais ?
— Évidemment !
— Très bien. Bon, l’Académie de Platon a peut-être une nouvelle direction, mais c’est pas le lupanar en soi qui nous intéresse. Un type qui a été banni de Rome a osé y revenir. (Peut-être Igullius était-il déjà au courant, car il devint soudain tout pâle.) Il s’appelle Balbinus Pius. On sait que des types de sa bande se trouvent chez Platon. Et lui-même s’y planque peut-être aussi. S’il n’est pas là à demeure, il rend sans doute visite à ses hommes. Alors voilà ce qu’on attend de toi, Igullius. Tu vas chez Platon où on espère que tu vas rencontrer une de tes vieilles connaissances. Sinon, débrouille-toi à te faire un nouvel ami. Ensuite tu t’installes tranquillement dans un coin en ouvrant tes yeux et tes oreilles. Et tu y restes jusqu’à ce que tu puisses venir nous apprendre quelque chose sur Balbinus. Nous, on bouge pas d’ici et on surveille la porte, si tu vois ce que je veux dire.
— Mais je serai un homme mort !
— Si tu refuses, le résultat sera exactement le même, sourit Martinus, qui aimait se faire passer pour un bourreau.
— Allons, calme-toi, Igullius, jugeai-je bon d’intervenir. Ce n’est pas aussi dangereux que tu crois. Et pour compenser ton manque à gagner, je te promets une grosse récompense.
— On va me repérer tout de suite, tenta-t-il encore d’arguer.
— Tu nous as dit que tu connaissais les lieux. Ta visite ne peut donc surprendre personne. Conduis-toi en habitué et tout se passera bien.
Là-dessus, nous lui donnâmes de quoi passer pour un client sérieux.
Tout alla plus vite que nous ne l’avions imaginé : Igullius vint nous rejoindre moins de deux heures plus tard. Nous ne savions pas encore ce qu’il avait appris, mais il était visiblement terrorisé. Il se jeta à plat ventre derrière un comptoir, la tête entre les mains. Quand il put enfin parler, il s’écria :
— Comptez surtout pas sur moi pour remettre les pieds là-bas !
— Ça dépend des renseignements que tu nous as rapportés, ironisa cruellement Martinus.
Je lui versai du vin dans un gobelet pour tenter de calmer son hystérie. Il l’avala d’une traite. Aussi mauvais qu’il fût.
— Allons, allons, dis-je encore une fois. Calme-toi. Dis-moi, la fille était jolie ?
— Je suis sûr qu’il est là, haleta-t-il sans répondre à ma question. Ouais, j’en suis sûr !
— Mais tu l’as pas vu ? insista Martinus.
— Je crois pas. Enfin j’ai vu personne qu’avait l’air aussi important.
— Mais tu te fais des idées ! m’écriai-je. Physiquement, Balbinus est un minus.
— J’ai aperçu une grande salle, ajouta-t-il, remplie de types louches. Vraiment louches !
Probablement celle que nous avions vue brièvement lors de notre visite avec Petronius.
— On dirait que Balbinus a repris la direction de l’établissement, commentai-je. Dis-moi, est-ce que tu as pu voir Lalage ? (Il fit non de la tête.) Est-ce que les choses semblent se passer comme d’habitude ?
Cette fois il acquiesça.
Tandis que je réfléchissais, Martinus tenta de lui soutirer d’autres renseignements. Nous ne pouvions effectivement pas renvoyer Igullius chez Platon sans éveiller les soupçons de la fille qui gardait la porte. Martinus tomba d’accord avec moi sur ce point, et nous lui dîmes qu’il pouvait aller se faire pendre ailleurs.
— Et mon argent ?
Martinus me regarda d’un air maussade. Je compris qu’il ne disposait pas de l’autorité nécessaire pour offrir une récompense officielle, et
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