Le temps des adieux
alors j’entrai directement dans le vif du sujet :
— Comment se présente la chasse au Balbinus ?
Il ne répondit pas, mais sa mine était suffisamment éloquente.
— Si mal que ça ? C’est pas étonnant, l’homme est très rusé. Moi, je crois avoir un bon tuyau. Je serais content de le communiquer à Petronius, mais tu connais la situation entre nous. Alors je suis obligé de surveiller les lieux tout seul. Peut-être que quand j’aurai réussi à prouver que Balbinus dirige maintenant son empire depuis le lupanar de Lalage, Petro se décidera enfin à m’épauler…
Martinus réagit exactement comme je m’y attendais. Sans oser l’avouer ouvertement, il était ravi que je sollicite son aide. Il n’était pas difficile de comprendre pourquoi il espérait enfoncer son supérieur, Petronius Longus.
Je le mis donc au courant de ce que j’avais vu à l’Académie de Platon.
— Est-ce que tu en as déjà parlé à Marcus Rubella, Falco ?
Je réfléchis un bref instant.
— Pas encore, mais il va falloir le faire. Tu ne peux pas prendre sur toi d’agir en franc-tireur.
— Je peux aller voir le tribun moi-même, suggéra Martinus. S’il est d’accord, il pourra arranger les choses. Il peut prétendre qu’il m’affecte momentanément à une autre cohorte. Le chef ne sera pas surpris, c’est courant de déplacer un homme quand il connaît bien son dossier.
L’adjoint de Petro serait en tout cas ravi de passer sa journée assis dans une gargote à observer qui entrait dans le bordel et qui en sortait.
Quand revenant une fois de plus sur mes pas, je me retrouvai Cour de la Fontaine, il faisait nuit noire. En passant devant la boulangerie, je crus entendre un volet grincer au-dessus de ma tête. Levant les yeux, je tentai de percer l’obscurité. En vain. Personne dans le coin ne laissait de lampe brûler inutilement pour éclairer des agresseurs potentiels tapis dans l’ombre. Je restai un instant aux aguets sans rien remarquer d’insolite.
En grimpant les interminables volées de marches, j’aurais dû me sentir plus confiant. J’étais maintenant sur mon propre territoire. C’est en réalité une situation qui peut s’avérer extrêmement dangereuse. On se détend un peu trop tôt, on abaisse sa garde et on se laisse bêtement surprendre.
Ce soir-là, cependant, personne ne m’attaqua. Je pus ouvrir ma porte sans encombre et pénétrer enfin chez moi, en laissant échapper un immense soupir de soulagement.
Il n’y avait pas de lampe allumée là non plus, ce qui ne m’empêchait pas de percevoir la présence de mon environnement familier. Et j’entendis tout de suite la respiration régulière d’Helena. Ainsi que celles de la chienne bâtarde qui nous avait adoptés et du bébé abandonné. Rien d’autre. Les occupants de ces deux pièces étaient en sécurité.
Je dis à voix presque basse :
— C’est moi.
La chienne remua la queue mais resta couchée sous la table. Le bébé, qui n’avait pas pu m’entendre, n’eut naturellement aucune réaction. Helena ne se réveilla qu’à moitié au moment où j’entrai dans le lit, et elle vint se blottir dans mes bras. L’heure n’était plus aux bavardages. Elle se rendormit rapidement et je ne tardai pas à l’imiter.
Dehors, les patrouilles de vigiles arpentaient les rues de la cité, guettant les incendies et les rôdeurs. Petronius Longus se trouvait avec un groupe. Il surprendrait à coup sûr quelques malfaiteurs, mais certainement pas le criminel qui l’empêchait de dormir.
Quelque part, très probablement, Balbinus Pius rêvait paisiblement.
57
Une journée suffirait peut-être. En tout cas, ce serait certainement suffisant pour me ridiculiser. Si nous passions une journée entière à surveiller les allées et venues dans l’Académie de Platon sans repérer la moindre activité criminelle, je deviendrais la risée de tous les vigiles.
D’un autre côté, si nous remarquions la présence sur les lieux d’anciens membres de la bande à Balbinus, je ne deviendrais pas pour autant un héros, mais on ne me prendrait pas pour un rigolo. Une fois n’est pas coutume.
Avec Martinus, nous étions à pied d’œuvre dès l’aube. Nous commençâmes par nous dissimuler dans l’encoignure d’une porte, comme des esclaves en fuite. Un peu plus tard, une vieille femme aux articulations visiblement douloureuses ouvrit une caupona et commença à laver le sol avec un balai qu’elle plongeait
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