Le temps des adieux
qu’il était bien trop honnête pour rendre au petit voyou les bourses volées. Ce que j’aurais fait, moi, sans hésiter.
L’adjoint de Petronius finit par se résoudre à écrire un billet qu’il remit à Igullius.
— Présente-toi au poste de garde avec ça, grogna-t-il.
Le pickpocket ne se le fit pas répéter deux fois et disparut de toute la vitesse de ses jambes.
Je continuai à réfléchir. Lalage m’avait certainement menti. Ce qui ne constituait pas vraiment une surprise pour moi.
Je ne pensais pas pour autant qu’elle régnait elle-même sur l’empire du crime depuis son lieu de débauche.
En réalité, l’ancien régime se trouvait toujours en place. Rien n’avait réellement changé. Après toutes les protestations émises par Lalage, qui se prétendait ravie de son indépendance, il m’était difficile d’admettre qu’elle avait si facilement cédé à Balbinus en lui permettant de s’installer à l’Académie de Platon avec son équipe de redoutables malfrats. Le seul fait qu’il puisse se cacher là m’apparaissait incroyable.
Je n’imaginais pas Lalage en train d’accepter cette situation de bonne grâce. Soit Balbinus s’était débarrassé d’elle, soit elle avait une idée précise derrière la tête. Dans cette seconde hypothèse, Balbinus Pius avait tout intérêt à se méfier. Mais en ce qui nous concernait, Martinus et moi, cela pourrait très bien servir nos intérêts.
Nous continuâmes notre surveillance, mais sans bavarder davantage et – merci Jupiter ! – sans jouer aux dames. Nous commencions à trouver le temps long et la nuit s’annonçait agitée. Nous dénichâmes du pain rassis pour calmer la faim qui nous tenaillait l’estomac et du mauvais vin pour le faire couler.
En fin de soirée, nous devînmes très tendus. Visiblement, quelque chose se préparait. Des hommes seuls, ou par petits groupes de deux ou trois, pénétraient dans le lupanar. Ils surgissaient dans la rue à intervalles réguliers.
Après avoir vu le premier transporter un dessus de lit noué aux quatre coins qui laissait échapper un joyeux cliquetis argentin, nous comprîmes tout de suite à qui nous avions affaire. Les équipes de jour avaient cessé le travail et venaient de tous les coins de l’Aventin, de la rive du fleuve et du Forum pour déposer le produit de leurs larcins. La plupart des hommes ressortaient rapidement – beaucoup plus légers. Je dus aller discrètement chercher d’autres tablettes à Martinus qui notait soigneusement le nom de tous les criminels qu’il reconnaissait.
Il fallait maintenant prendre une décision.
— Balbinus a peut-être installé un simple comptable chez Platon, chargé de recevoir la marchandise et de payer leur dû aux braves travailleurs.
— Qu’est-ce que tu ferais, Martinus, si le collecteur en qui tu avais placé toute ta confiance t’avait trahi ?
— J’assurerais la récolte moi-même, évidemment, admit-il.
— Et je suis persuadé que c’est ce qui se passe.
— T’as sûrement raison, mais d’après moi, il ne va pas s’attarder dans les lieux.
— Alors tu voudrais qu’on l’alpague avant qu’il se décide à mettre les voiles ?
— T’es pas d’accord avec moi, Falco ?
J’étais d’accord bien sûr, mais je voulais pénétrer dans l’Académie de Platon en force. Et, surtout, je tenais à la présence de Petronius. En partie à cause de mon ancienne loyauté, mais aussi parce que j’étais sûr de pouvoir compter sur lui en cas de coup dur.
Et avec la pègre qui nous attendait à l’intérieur, il y avait tout intérêt à se montrer prudent.
— Alors on y va ? demanda impatiemment l’adjoint de Petro.
D’après le ton de sa voix, il était clair que si je laissais tomber ce soir, il ne travaillerait plus jamais avec moi. Son jeu de dames ne me manquerait pas beaucoup, mais je m’inquiétais du chaos qu’il pourrait créer s’il décidait par malheur de se lancer seul dans l’aventure.
— On y va si Rubella nous accorde les renforts nécessaires.
Même Martinus, aussi imbu de lui-même fût-il, ne pouvait envisager que nous prenions le bordel d’assaut à nous deux. Je continuai donc de monter la garde tandis qu’il s’en allait consulter son tribun.
Pour m’occuper, je dessinai de mémoire un plan de l’Académie de Platon sur une tablette. L’établissement possédait deux étages et d’innombrables corridors. La maison dans laquelle on avait tout
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