Le temps des adieux
tacher de sang la robe de la mariée.
Ceux qui ont une compétence en logistique ont déjà deviné qu’il me fallait acquérir le mouton la veille si je ne voulais pas risquer de ne rien avoir à sacrifier le grand jour venu. Et une fois l’animal acheté, je devais trouver où le parquer jusqu’à ce qu’il joue son grand rôle dramatique.
Maia décida Famia à l’accueillir dans l’écurie des Verts. La cour de la laverie me paraissait bien plus commode, mais quand je soumis mon idée à Lenia, elle devint quasiment hystérique. D’après d’elle, ça ne pourrait que lui porter malheur.
Je dus conduire le mouton à l’écurie moi-même. Et le jour du mariage, je dus retraverser toute la ville pour le récupérer. Je lui avais fabriqué une jolie petite laisse et je me sentais un peu dans la peau d’un artiste de cirque. Et du Champ de Mars au sommet de l’Aventin, il y a une sacrée distance.
Sur le chemin du retour, j’avais prévu de m’arrêter aux thermes du temple de Castor pour être propre et parfumé en arrivant à la maison où j’enfilerais ma tenue de cérémonie. J’en profitai pour laver également le mouton. Je tenais à ce que Lenia fût fière de moi. Je ne comprends pas pourquoi Glaucus se montra aussi horrifié. Je n’avais remarqué la présence d’aucun personnage important et j’avais payé un droit d’entrée pour deux.
De retour à la maison, je me heurtai presque à tout un groupe de jeunes en train de décorer la laverie de guirlandes, tandis qu’un tas de vieilles les observait en sirotant des boissons fortes et en discutant de leurs problèmes intestinaux. La façade était ornée de draps joliment peints. Des torches plantées le long de la rue, mais pas encore allumées, ne demandaient qu’à être vandalisées par des adolescents oisifs.
Tout le quartier s’était mis à l’heure de ce mariage ridicule. Un immense feu de joie était prévu à l’arrière de la laverie, où diverses bestioles rôtissaient déjà à la broche. La Cour de la Fontaine s’encombrait de livreurs et de curieux. Le malheureux futur couple allait provisoirement occuper l’appartement situé au-dessus de la boulangerie – celui auquel Helena et moi avions renoncé à cause de son état déplorable. Ils avaient déjà entassé dans l’une des pièces le nombre incroyable de cadeaux reçus et les cornets de friandises qui seraient offerts aux invités pour les récompenser de l’épreuve qu’ils allaient subir. Il y avait aussi les noix que Smaractus jetterait aux badauds – comme symbole de fertilité : quelle horrible image ! Dans l’autre pièce trônait un grand lit. Il était prévu que le mari de Lenia vienne s’installer dans la laverie après la nuit de noces.
Comme la mariée n’avait aucune famille pour l’entourer en ce jour de liesse, elle m’avait emprunté une grande partie de la mienne. Je vis ma mère et Maia trébucher sous le poids du gâteau de mariage qu’elles avaient elles-mêmes confectionné.
— Enlève tes sales pattes de là ! cria M’man quand je voulus voler quelques amandes.
Battant en retraite, je me mis en quête d’un coin tranquille pour y attacher le mouton et rencontrai une femme inconnue : Lenia. Elle, qui habituellement ressemblait à un sac de navets, portait aujourd’hui la robe tissée traditionnelle accompagnée de chaussures orange. Ses cheveux rouges de henné appliqué trop généreusement, et qui d’habitude se hérissaient dans tous les sens, avaient été disciplinés par des amies déterminées et couronnés d’une guirlande de feuilles luisantes et du voile traditionnel couleur feu. Il était pour le moment rejeté en arrière pour permettre à son amie Secunda de lui charbonner les yeux.
— Ta quenouille est prête ? demandai-je.
— Maia a promis de m’en trouver une.
— Quoi ? ! Tu ne possèdes pas la tienne ? Est-ce que Smaractus réalise qu’il va s’encombrer d’une ménagère incompétente ?
— Il préfère une brillante femme d’affaires, rétorqua-t-elle.
Je lui montrai alors le mouton, lui donnai un baiser qui lui fit monter les larmes aux yeux, puis m’engageai joyeusement dans l’escalier pour grimper mes six étages.
Il restait encore un bon moment avant le début des festivités. Dans le calme de mon appartement, je m’étendis sur le lit, prétendant me concentrer pour interpréter les augures. Helena vint s’allonger à côté de moi.
— Mmmh ! Ce qu’on est
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