Le temps des adieux
espoir.
— Oh ! par Jupiter, je verrai ce que je peux faire. Je parlerai à Galla à l’occasion… Mais vas-tu enfin me dire ce qui s’est passé ici ?
— Un véritable désastre ! assura P’pa, qui aimait en rajouter une louche et faire languir ses interlocuteurs.
— Mais encore ? dus-je insister.
— Eh bien, voilà : une bande de voleurs s’est introduite dans les lieux pendant la nuit et a vidé la moitié de l’Emporium.
Mon père se laissa aller un peu en arrière sur son tabouret pour voir l’effet que ses paroles allaient produire sur moi. Je tentai par conséquent d’adopter l’air mortifié de circonstance.
— Écoute, hypocrite ! poursuivit-il. Ils savaient exactement ce qu’ils voulaient. Ils n’ont pris que des objets de valeur. Probablement sur commande. Ils ont dû observer les lieux pendant des semaines avant de commettre leur coup. Et ils ont disparu dans la nature avec leurs marchandises sans être inquiétés. Sur le moment, personne ne s’est aperçu de rien.
— Alors Petronius garde les lieux fermés et sous bonne garde pendant qu’on fait l’inventaire exact de ce qui a été volé ?
— On peut le supposer. Mais tu le connais, il n’a pas l’habitude d’expliquer ses actions. Il a pris un air solennel et a tout de suite ordonné qu’on referme les portes.
— Il a bien dit quelque chose, tout de même ?
— Que son adjoint, Martinus, laisserait entrer les marchands un par un…
— Ah ! il a choisi quelqu’un plein de tact ! l’interrompis-je.
Martinus, particulièrement imbu de lui-même, se montrait souvent renfrogné et buté quand il avait affaire au public.
— Chacun doit établir une liste détaillée de ce qui lui a été pris, précisa mon père en ignorant mon interruption.
— C’est évidemment la meilleure méthode. Ces crétins devraient comprendre que Petronius pourra plus facilement récupérer les objets volés s’il sait ce qu’il doit rechercher.
— C’est sans doute trop subtil pour eux, déclara P’pa en arborant ce sourire étincelant qui poussait toutes les serveuses des tavernes à se renverser sur le dos et qui, personnellement, m’exaspérait.
— C’est parfaitement pensé, protestai-je.
Toute ma sympathie allait à Petro. Il était probablement rentré d’Ostie en espérant une petite période de tranquillité, et on avait dû le tirer du lit au milieu de la nuit pour affronter un véritable cataclysme. Au lieu de jouir du repos bien mérité, le héros se trouvait emporté au cœur de la tourmente. L’Emporium était l’édifice le plus important de son secteur. Il allait plonger dans une enquête qui risquait de durer des mois et de tourner en eau de boudin. De toute évidence, comme l’avait dit mon père, ce cambriolage avait été soigneusement préparé.
Une question, à laquelle je ne parvenais pas à apporter de réponse, ne cessait de me trotter dans la tête.
— À titre d’information, P’pa, pourquoi est-ce que Petronius t’a demandé de m’envoyer chercher ?
Mon père prit son air le plus sérieux, mais ça ne marchait pas avec moi.
— Oh… dit-il. Il a pensé que tu serais peut-être capable de récupérer mon verre.
Il avait proféré cette énormité avec la délicatesse d’un poissonnier en train de lever les filets d’un rouget.
— Ils ont volé ton verre ? (Je n’en croyais pas mes oreilles.) Le verre qu’Helena a acheté pour toi ? Et que je me suis emmerdé à trimbaler jusqu’ici depuis la Syrie ? (La colère m’étouffait presque.) Mais quand je te l’ai remis, tu m’as dit que tu allais immédiatement le transporter à la Sæpta !
La Sæpta Julia, dans le Champ de Mars, était le quartier des joailliers et il était fort bien gardé. C’est là que mon père avait son bureau et son entrepôt.
— Arrête de hurler.
— Je hurlerai si je veux ! Comment as-tu pu être aussi négligent ?
Je connaissais la réponse. Gagner la Sæpta en traînant un chariot lui aurait demandé une bonne heure. Et comme il habitait tout à côté de l’Emporium, il avait préféré rentrer chez lui se reposer, en abandonnant jusqu’au lendemain la cargaison de verre dont nous avions pris un tel soin.
Mon père jeta un coup d’œil par-dessus son épaule et dit en baissant la voix :
— Je croyais l’Emporium parfaitement sûr. Et c’était provisoire.
— Et maintenant c’est « provisoirement » perdu ! (Soudainement conscient de son
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