Le temps des adieux
arrivent ensuite à l’Emporium, un vaste marché tout en longueur qui inclut l’ancien portique émilien. C’est d’abord une odeur particulière qui vous accueille. Même un aveugle comprendrait qu’il est arrivé à destination.
C’est sur ces quais toujours noirs de monde qu’est déchargé tout ce que les provinces de l’Empire produisent pour construire, s’habiller ou manger. Des débardeurs à fort bagout, connus pour leurs colères soudaines et la façon voyante dont ils s’habillent quand ils ne travaillent pas, entassent les marchandises sur des charrettes à bras ou dans des paniers pour qu’elles soient transportées dans le plus grand marché couvert du monde.
Des ventes à la criée y sont organisées, et avant que les acheteurs comprennent qu’ils viennent de se faire posséder par les intermédiaires les plus roublards d’Europe, les marchandises ont déjà pris la direction des magasins, des entrepôts ou des résidences privées. Les changeurs d’argent arborent un joyeux sourire du matin au soir.
À part quelques produits spécifiques comme le grain, le papier et les épices – qui sont si précieux ou vendus en telles quantités qu’ils ont leurs propres marchés ailleurs –, on peut tout acheter à l’Emporium. De par sa profession, mon père était très connu en ces lieux. Il avait délaissé le commerce de gros depuis longtemps pour se spécialiser dans les meubles et objets de décoration, voire les œuvres d’art – un négoce organisé dans un environnement plus luxueux, où l’acheteur se fait arnaquer dans le confort, ce qui permet de lui extorquer plus facilement des sommes parfois impressionnantes.
Mon père ne passait pas inaperçu. Normalement, j’aurais pu demander à la cantonade si quelqu’un avait vu Geminus, et le premier quidam venu m’aurait indiqué dans quel bar à vin chaud le trouver. Seulement, les gardes farouches de la quatrième cohorte ne laissaient entrer personne.
Le spectacle était proprement incroyable. L’Emporium s’élevait dans un secteur jadis inclus dans la cité par Auguste, quand il avait redéfini les limites de Rome dont les édifices en tous genres avaient proliféré hors de ses vieilles enceintes. J’avais commis la bêtise de franchir l’ancien rempart par la porte Lavernal, toujours très fréquentée, mais aujourd’hui infranchissable. En me rapprochant du Tibre, j’avais déjà rencontré une cohue invraisemblable. C’est bien simple, il m’avait fallu une bonne heure pour me frayer un chemin à travers la foule compacte qui encombrait la route d’Ostie. Quand j’avais fini par atteindre les quais, j’étais persuadé qu’un événement inhabituel venait de se produire, et je m’étais préparé à découvrir une scène surprenante – mais je n’avais pas imaginé que le metteur en scène en serait mon si raisonnable ami, Petronius Longus.
C’était déjà le milieu de la matinée. Les portes de l’Emporium, verrouillées la nuit pour des raisons de sécurité, se rouvraient à l’aube et restaient ouvertes toute la journée. Aujourd’hui elles étaient fermées, et des membres de la garde aux visages rougeauds leur tournaient le dos et formaient un cordon face à la multitude. Les soldats étaient nombreux. La demi-cohorte qui patrouillait la rive du fleuve le long de l’Aventin comprenait cinq cents gardes. Un certain nombre était affecté aux incendies, une majorité effectuait des patrouilles nocturnes pour tenter de juguler la criminalité, mais il en restait suffisamment pour le service de jour. Et, à mon avis, ils étaient tous rassemblés à cet endroit. Pour l’instant, le cordon résistait aux poussées. Les plus mécontents de ceux qu’on empêchait d’entrer n’hésitaient pas à demander la tête de Petronius Longus.
Je remarquai alors un petit groupe de gardes à qui Porcius tendait des boucliers qu’il était en train de décharger d’un chariot.
Je n’apercevais mon copain nulle part – tant mieux pour lui.
Très anxieux, je parvins à avancer jusqu’au premier rang en jouant énergiquement des coudes.
— Peux-tu me dire ce qui se passe ? Est-ce que Petro, si mesuré d’habitude, veut entrer dans l’histoire comme l’Homme-qui-a-mis-un-terme-au-commerce ?
— Lâche-moi, Falco, grogna Fusculus qui tentait par ailleurs de calmer des marchands étrangers dont la bouche paraissait cracher des flammes.
— Petro m’a envoyé chercher, prétendis-je.
Ça ne
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