Le temps des adieux
nourrice.
— Non, mais d’un ami qui prenne ton parti devant tes accusateurs.
Il ne fit aucun commentaire, il savait que j’avais raison.
— Je suppose que tu viens de là-bas ? Ça se passe comment ?
— Fusculus retient la foule, et Porcius distribue des boucliers. Je n’ai pas vu Martinus. P’pa m’a résumé le désastre de la nuit dernière, répondis-je succinctement.
— Il prétend que son verre s’est aussi envolé.
Petro connaissait suffisamment bien mon père pour ne pas le croire sur parole. Quant à moi, cette insulte au nom familial me laissait tout à fait froid.
— C’était pas des amateurs, Falco, tu peux me croire. Geminus a perdu une cargaison de grande valeur. On a pris à Calpurnius une grosse quantité de porphyre qui lui avait été aussi livrée pas plus tard qu’hier. Tout l’ivoire d’un autre a disparu.
Je me demandai immédiatement si le vol avait plus spécialement quelque chose à voir avec les marchandises livrées la veille.
— Martinus est en train de dresser la liste exacte, mais on sait déjà que les pertes sont sérieuses.
— Je croyais que l’Emporium était gardé la nuit ?
Un grognement sortit du plus profond de la gorge de Petro.
— Tous les gardes se sont fait assommer. On les a retrouvés alignés comme des sardines, ligotés et bâillonnés.
— Un travail un peu trop soigné, tu ne crois pas ? Ils sont peut-être dans le coup ?
— C’est pas exclu. (Visiblement, il y avait déjà pensé.) Je compte bien les cuisiner. Quand je pourrai.
— C’est pas « quand », plaisantai-je à demi, c’est « si ». Mais regardons le bon côté des choses : ça va peut-être te donner l’occasion de rencontrer l’empereur.
— J’ai déjà rencontré l’empereur, rétorqua-t-il sèchement. En ta compagnie, Falco ! Quand il t’a offert une fortune pour étouffer un scandale. Une fortune que de prétendus principes moraux t’ont obligé à refuser.
— En effet, je m’en souviens.
Je n’avais pas oublié cette fortune refusée – simplement le fait que Petro était là pour me voir me conduire comme le dernier des imbéciles.
J’avais eu le mauvais goût de dévoiler un complot impliquant un membre de la famille impériale. Poussé par un impérieux besoin de protéger son fils, Domitien, l’empereur Vespasien m’avait imprudemment promis de l’avancement – promesse qu’il avait dû tout de suite regretter. De toute façon, j’avais refusé sa proposition sans l’ombre d’une hésitation.
— Personne n’achète mon silence, ajoutai-je fièrement.
— Ah ! commenta sobrement Petronius, qui savait que dans cette aventure j’avais été le seul perdant.
Soudain, un domestique écarta un rideau et adressa un signe de tête à Petro.
Je me levai en même temps que lui.
— Je l’accompagne, déclarai-je d’un ton assuré.
L’officiel m’avait reconnu. S’il pensa que je m’étais également attiré des ennuis, il était trop bien élevé pour le laisser paraître. Il se contenta de me saluer d’un sobre :
— Didius Falco.
Les deux gardes prétoriens qui flanquaient la porte de part et d’autre feignirent de n’avoir rien entendu, mais je savais qu’ils me laisseraient passer sans me sauter dessus pour me tordre les bras dans le dos. Je n’avais aucune envie d’approcher un personnage de la famille impériale après un corps à corps dont je risquais de ne pas ressortir à mon avantage. Nous avions beau ne pas être dans la partie idoine du palais, la présence des gardes prétoriens ne pouvait avoir qu’une seule signification.
Petronius Longus avait franchi le rideau sans hésiter. Sans lui laisser le temps de protester, je le dépassai pour entrer avant lui dans la salle d’audience. Il s’y précipita sur mes talons.
Mon ami devait s’attendre à rencontrer un certain nombre de personnes appartenant à une classe de la société qu’il pouvait se permettre d’ignorer. C’était loin d’être le cas, et je l’entendis étouffer une exclamation. Le bureau était plein de scribes – des scribes placés sous la supervision d’un personnage très spécial. Je l’avais pourtant averti, mais il n’avait pas cru qu’il allait rencontrer l’empereur.
Vespasien était à demi allongé sur un divan de lecture, en train de parcourir des yeux un texte inscrit sur une tablette de cire. Son visage aux traits fortement marqués était parfaitement reconnaissable. Il ne
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