Le temps des adieux
savait apparemment faire autre chose que battre des cils.
— Est-ce que le représentant du Trésor t’apporte son aide ? demandai-je après qu’il eut repris une respiration normale.
— Pas beaucoup.
Ce n’était pas une surprise pour moi. J’étais familier du manque d’ardeur à l’ouvrage des fonctionnaires chargés des finances publiques.
— Je lui ai attribué une pièce pour lui tout seul. Il peut y jouer à son aise avec son boulier.
Je tentai de le surprendre en entrant brusquement dans le vif du sujet.
— Alors, où en êtes-vous ?
— Deux millions. Et on continue de compter, répondit-il, imperturbable.
Le chiffre m’arracha un sifflement de surprise.
— Sacré paquet ! (Il avait l’air ravi mais ne risqua aucun commentaire.) C’est plutôt une bonne nouvelle pour toi, non ?
— Si j’arrive à mettre la main dessus. Balbinus a fait des entourloupettes.
— Pas la vieille combine de tout mettre au nom du mari de sa sœur, tout de même ?
Il me regarda avec un certain respect.
— Pas tout à fait. Il s’agit d’une dot destinée à son gendre.
— C’est pas nouveau non plus, assurai-je en hochant la tête. Et ça pose problème. D’après les juristes que j’ai consultés, on n’y peut rien. Tant que le mariage dure, la fille et le magot passent sous l’autorité du mari, qui n’a aucune responsabilité légale envers son beau-père.
— Alors espérons qu’ils vont divorcer ! s’exclama Nonnius d’un ton qui indiquait clairement qu’il n’hésiterait pas à exercer des pressions dans ce sens.
Chassez le naturel, il revient au galop.
— Ne te berce pas trop d’illusions, l’asticotai-je. Si la dot est tellement importante, l’amour sera forcement au rendez-vous. Rien de tel qu’une grosse somme d’argent pour rendre un mari romantique.
— Je me charge d’expliquer à la fille que son époux est inintéressant.
— Oh ! je crois qu’elle le sait déjà, intervint Fusculus.
Il me fit comprendre d’un signe qu’il me mettrait au courant des ragots plus tard. Ce signe parut néanmoins inquiéter légèrement Nonnius qui se demandait visiblement quels rapports nous entretenions tous les deux. Aucun des vigiles ne portait d’uniforme. Les patrouilles à pied étaient vêtues d’une tunique rouge qui leur ouvrait un chemin à travers la foule pour accéder aux fontaines en cas d’incendie. Mais les agents de Petronius s’habillaient comme lui de couleurs sombres passe-partout. Seul un fouet ou un bâton révélait leur position. Leur tenue était en outre complétée par des bottes assez solides pour servir d’arme supplémentaire. Et comme j’avais adopté la même façon de me vêtir, il était quasiment impossible de nous distinguer.
— Qu’as-tu fait jusqu’ici ? demanda Nonnius, soudain soupçonneux.
— Je suis enquêteur privé. L’empereur me confie pas mal de missions.
— Ça sent mauvais !
— Moins que racketter pour le compte de Balbinus ! rétorquai-je d’une voix sévère.
Il n’appréciait pas de me voir lui tenir tête. Il adopta un ton grincheux pour me dire :
— Bon, si tu as fini de m’insulter, je vais me remettre au travail. Je n’ai pas de temps à perdre.
— Travaille bien, l’encourageai-je.
Il laissa échapper un petit rire moqueur.
— Je suppose que le travail dont on t’a chargé n’inclut pas de m’aider ?
J’avais l’intention de m’atteler sérieusement à la tâche que Rubella m’avait confiée : étudier les archives du crime et y découvrir des indices susceptibles d’aider l’enquête en cours et d’anticiper les prochains cambriolages.
— En effet, j’ai d’autres occupations urgentes.
— Et qu’est-ce que tu veux de moi ?
— Des renseignements.
— Évidemment, étant donné ton métier ! Et ces renseignements, tu as l’intention de me les payer ? ricana-t-il avec un air insolent.
— Je ne paye pas les renseignements de quelqu’un dans ta position.
Il décida d’ignorer l’insulte et demanda posément :
— Que souhaites-tu donc savoir ?
— Tout simplement si c’est toi qui as organisé le cambriolage de l’Emporium, déclarai-je sans parvenir à le surprendre.
— J’en ai entendu parler, admit-il d’une voix douce.
La moitié de Rome en ayant sûrement entendu parler, il était difficile de l’accuser ouvertement. Pour l’instant du moins, car j’avais le sentiment qu’il s’y trouvait mêlé d’une
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