Le temps des adieux

qu’il en soit, l’idée de sonder Nonnius m’apparaissait soudain bien plus attrayante. Je proposai donc de lui rendre visite immédiatement. Fusculus offrit de m’accompagner afin de nous présenter l’un à l’autre.
    Arrivé à la porte, je marquai un temps d’arrêt et me retournai : Rubella était fort occupé à ouvrir un nouveau cornet de graines de tournesol.
    — Tribun, une question. Que suis-je autorisé à dire à Nonnius ?
    Il me regarda, mais ses yeux restèrent dans le vague.
    — Tout ce que tu voudras.
    — Il est le témoin principal dans l’accusation. Ça ne veut pas dire qu’il faut le traiter avec circonspection ?
    — C’est un criminel endurci, déclara Rubella. Maintenant que l’État est débarrassé de Balbinus, Nonnius lui est d’une piètre utilité. Sauf s’il a encore des choses intéressantes à raconter. S’il fait de louables efforts pour t’aider, montre-toi respectueux. Dans le cas contraire, n’hésite pas à lui écraser les orteils.
    — Très bien.
    Écraser les orteils, ça me connaissait. J’étais même capable de me montrer respectueux quand la situation l’exigeait. J’avais cependant une seconde question qui touchait également un point sensible :
    — Est-ce que Petronius sait que mes attributions vont être plus étendues qu’il ne l’a suggéré ?
    — Tu pourras toujours l’en informer quand tu le verras, répondit le tribun sur le ton d’un homme qui ne s’aperçoit pas qu’il va mettre à rude épreuve une très ancienne amitié.
    Avant de refermer la porte, je vis un sourire jouer sur ses lèvres.
    Je commençais à le soupçonner d’appartenir à cette race d’individus qui prétendent ne jamais lever le petit doigt alors qu’ils ont un sens aigu de leur devoir en tant que représentants de l’État et une vaste expérience des relations humaines. Il pouvait être loyal, digne de confiance et intelligent.
    D’un autre côté, il pouvait aussi correspondre à l’image qu’il donnait de lui-même : paresseux, insouciant, indigne de la position qu’il occupait.

17
    Nonnius habitait dans la douzième région, à deux rues du père d’Helena Justina. Ce qui prouve que l’argent peut vous acheter des voisins respectables ou vous permettre d’acquérir une maison à quelques coudées de celle d’un criminel notoire. En réalité, ce n’était guère diffèrent de l’endroit où je vivais, si ce n’est que les criminels habitant près de la porta Capena étaient plus riches et plus vicieux que ceux de la Cour de la Fontaine.
    Le sénateur était millionnaire, ce qui n’était pas surprenant – c’était quasiment la seule qualification pour obtenir le boulot. Personne n’a besoin d’être doté de talents sortant de l’ordinaire – par exemple un excellent jugement ou un sens de l’honneur – pour voter dans une assemblée trois fois par mois. Mais la richesse procure bien des satisfactions, m’étais-je laissé dire, et la vie que menait la famille Camillus était on ne peut plus confortable. La mère d’Helena n’arborait des pierres semi-précieuses que pour rendre visite à sa manucure.
    Quant aux qualifications requises pour le poste occupé par Nonnius Albius auprès de Balbinus Pius, elles étaient simples : persévérance et tempérament brutal. Après avoir utilisé cette recette pendant une bonne trentaine d’années, Nonnius avait gagné suffisamment pour habiter le même quartier que les sénateurs. Et lui, à la différence de nombre de ces derniers, n’avait certainement pas été contraint d’hypothéquer sa maison.
    Celle-ci, de prime abord, me parut modeste. Mais ce n’était qu’une impression. Si le portique sous lequel attendaient les visiteurs était vraiment très sobre, c’était uniquement pour éviter d’attirer l’attention. Une fois là, ils devaient prendre leur mal en patience, tandis qu’un portier ronchonnant allait annoncer leur présence au maître de maison, après les avoir dévisagés derrière une solide grille.
    — C’est exactement comme rendre visite à un consul ! m’émerveillai-je.
    Mon exclamation me valut un regard ironique de Fusculus.
    — Sauf que les gardes du corps de Nonnius sont mieux éduqués et plus polis que les licteurs des consuls que j’ai rencontrés.
    Je remarquai que le devant de la maison était orné des mêmes vasques de pierre contenant les mêmes lauriers que chez le père d’Helena. Visiblement, le jardinier qui