Le temps des adieux
Falco, répliqua-t-il. (S’il s’agissait là d’une plaisanterie, je la trouvais de fort mauvais goût.) Si tu parviens à un résultat… voulut-il poursuivre.
— Je t’en prie ! le coupai-je. Épargne-moi les promesses. Je suis malheureusement bien placé pour savoir ce qu’il faut en penser. Je ferai le travail. Et je le ferai bien dans toute la mesure du possible. (Mieux en tout cas que n’importe lequel de leurs espions à la manque.) Quelle que soit ton opinion sur les enquêteurs de mon espèce, me récompenser serait un signe de respect pour ma fiabilité que tu dis apprécier. Peut-être y penseras-tu un jour ? Mais en attendant, je dois te demander quelque chose, César. Si au cours de cette mission, je termine dans une impasse sordide avec un poignard planté entre les deux épaules, prends soin de ma famille.
Titus se contenta d’incliner la tête pour m’indiquer qu’il s’y engageait. Il était connu pour être un grand romantique. Il devait avoir saisi de quel membre de ma famille en particulier je parlais.
Comme il était également célèbre pour sa courtoisie, nous nous devions de terminer cet entretien un peu scabreux en échangeant quelques plaisanteries. Je susurrai la mienne le premier :
— Je te prie de transmettre mes respectueuses salutations à ton père, César.
— Merci… Je sais que l’anniversaire d’Helena Justina approche.
Il lui plaisait de me rappeler qu’il connaissait la date de son anniversaire. Une année, il avait même tenté de s’inviter à cette fête de famille.
— Oui, c’est après-demain, confirmai-je.
— Alors, transmets-lui mes plus sincères félicitations.
Je forçai mes dents à exprimer ma gratitude.
Je n’avais pas non plus oublié son anniversaire. J’en avais enfin retenu la date. Et grâce aux dieux, pour une fois, je lui avais acheté un très joli cadeau. C’était une pensée que j’avais essayé de mettre de côté, j’avais eu suffisamment de problèmes à résoudre depuis mon retour à Rome.
Le cadeau prévu pour Helena se trouvait dissimulé dans la cargaison de verre syrien dérobée à mon père au cours du cambriolage de l’Emporium.
27
Les rues sombres avaient retrouvé leur calme. L’air froid qui m’enveloppait rappelait qu’on était en automne. J’aurais apprécié d’avoir une cape. Mais en réalité, c’étaient surtout les paroles prononcées par Titus César qui me donnaient des frissons.
Il me fallait traverser le Forum, laisser le Palatin derrière moi et escalader l’Aventin. J’avançais d’un pas régulier en prenant soin de ne pas passer près des entrées obscures et en redoublant d’attention lorsque je franchissais l’entrée d’une ruelle sombre. Je n’empruntais que des rues que je connaissais bien et, quand elles étaient assez larges, je marchais en plein milieu. Si jamais je croisais quelqu’un, j’adoptais un air particulièrement sûr de moi.
Les pensées se bousculaient dans ma tête. Les événements domestiques auraient déjà suffi à absorber toute mon énergie : une compagne enceinte qui n’avait toujours pas décidé comment elle allait réagir – ou qui ne m’en avait pas informé ; sa famille ; ma famille. Je devais aussi prendre du temps pour rendre confortable le nouvel appartement du premier étage, jouer le rôle du prêtre au mariage de mon amie Lenia, m’occuper de caser le bébé découvert dans la charrette. Ça représentait déjà beaucoup pour un seul homme. Sonder les établissements accueillant des enfants perdus pourrait demander une semaine – dont je ne disposais plus.
Et je ne devais pas oublier non plus de trouver un cadeau de remplacement pour Helena. Alors que j’étais plutôt fauché, en partie parce que j’avais trop dépensé pour lui acheter le présent maintenant disparu. Il existait bien une solution, mais elle me donnait des boutons : demander à mon père de me dénicher un objet ancien et de bon goût dans son entrepôt. Et de me le vendre au prix coûtant.
Pour Helena, il accepterait. Pour Helena, j’étais prêt à le lui demander. Mais je savais combien j’allais en souffrir.
Et maintenant, Titus voulait que je trahisse la confiance de Petronius, mon meilleur ami. Voilà qui me perturbait encore davantage. J’étais par ailleurs furieux de devoir m’atteler seul à cette tâche. Le seul dans la confidence serait le tribun, Marcus Rubella, et ce n’était pas exactement le genre de personnage avec qui
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