Le temps des adieux

Mais Titus me connaissait suffisamment pour savoir quand j’étais vraiment furieux.
    — Je suis certain que mon père apprécierait que tu lui fasses un rapport, si tu le veux bien. (J’adore entendre un prince quémander.) Nous avons besoin de connaître la situation exacte dans le désert.
    Sans une parole, je plongeai la main sous ma tunique pour en sortir un mince rouleau de parchemin. J’avais pensé à le prendre grâce à Helena. Au cours du voyage, elle avait insisté pour que je consigne toutes mes observations par écrit. Et en me voyant partir, ce soir, elle m’avait conseillé d’emporter ce document, devinant que je trouverais une occasion de le remettre à qui de droit. Une fois encore, elle avait eu raison. Et dans ces circonstances, il ne serait pas possible à Anacrites de tirer la couverture à lui. Il n’aurait très probablement jamais l’occasion de jeter les yeux sur mon rapport.
    — Merci, dit Titus avec chaleur, en caressant le rouleau de ses doigts aux ongles soigneusement manucurés. Tu nous as toujours bien servis, Falco. Mon père et moi avons une haute opinion de ton jugement et nous croyons à ton intégrité.
    À la vérité, ils haïssaient les enquêteurs de mon espèce et s’adressaient à moi uniquement quand ils ne voyaient aucune autre solution. Cette fois encore, ils devaient donc avoir une sale idée derrière la tête. Méfiance, méfiance.
    — As-tu envie de m’entretenir des difficultés que tu as rencontrées ? ajouta-t-il.
    Je vis là une invitation à enfoncer Anacrites dans la merde. Inutile de dire que je fus incapable de saisir cette occasion. Par pure bêtise.
    — Ce n’est pas très important, César. J’ai survécu.
    — Moi, au contraire, je trouve que c’est important. (Titus insinuait que, dans les pays étrangers, la justice appliquée aux espions est expéditive.) On t’a envoyé là-bas incognito, et ta véritable identité s’est trouvée accidentellement révélée.
    — Pas accidentellement, César. Tout à fait intentionnellement, précisai-je d’une voix douce.
    — Souhaites-tu qu’une enquête soit diligentée ?
    — Mieux vaut rester dans le vague, assurai-je. Anacrites est trop dangereux pour que je l’attaque de front. Je préférerais lui voir confier une mission de longue haleine. Par exemple, l’étude du mode de commande du matériel sanitaire dans le domaine public.
    Titus s’était toujours délecté de mon cynisme. En privé. Il passa une main dans ses cheveux artistiquement coupés.
    — Falco ! Je me demande pourquoi, quand je parle avec toi, je finis toujours par douter de me faire comprendre.
    — Sans doute, César, dis-je avec un haussement d’épaule, parce que je suis le seul idiot inconscient qui se risque à t’offenser.
    Il accepta mon explication en riant.
    — Et as-tu été payé pour ton travail ? demanda alors Titus d’un ton plus circonspect.
    Pour qu’il aborde cette question avec un semblant de bonne volonté, il fallait que ce que Vespasien et lui avaient à me demander fût extrêmement déplaisant.
    — Ne t’inquiète pas à ce sujet. Quand les augures seront favorables, je présenterai ma note habituelle aux comptables.
    — Nous y ajouterons quelque chose, assura-t-il.
    — C’est très généreux de ta part.
    Cette générosité tout à fait inhabituelle chez les Flaviens confirmait mon intuition.
    Les plaisanteries furent alors reléguées aux oubliettes. Titus me confirma que si j’avais été convoqué la nuit et s’il me parlait hors de la présence d’un scribe, c’était parce qu’il s’agissait d’une affaire sensible et confidentielle. Mais j’étais à mille lieues d’avoir deviné de quoi il retournait. Et une fois au courant, je fus catastrophé.
    — Ce dont je vais te parler devra rester un secret absolu, Falco, commença-t-il. Personne, je dis bien personne, ne devra être mis au courant.
    J’acquiesçai d’un signe de tête. Cette entrée en matière ne me disait rien qui vaille. Mais c’est le problème avec les secrets. Avant qu’on vous les ait confiés, comment savoir si votre éthique va s’en accommoder ?
    — Marcus Rubella, poursuivit-il d’un ton un peu cassant, a été récemment nommé au tribunal des vigiles.
    Je ne l’ignorais pas. C’était un homme de Vespasien. Il est important pour l’empereur que les cohortes se montrent loyales à son égard.
    — Je l’ai déjà rencontré, précisai-je.
    — Je suis au courant,