Le temps des illusions
telle auprès des femmes qu’elles sont nombreuses à vouloir apprendre cette langue qui sait tour à tour chanter et rudoyer. On s’arrache les dictionnaires chez les libraires ; les interprètes donnent des leçons et accompagnent leurs élèves au théâtre pour traduire les répliques incompréhensibles.
Le 1 er juin 1716, les Italiens retrouvent l’hôtel de Bourgogne entièrement rénové. Le Régent assiste à cette première où les comédiens donnent la Finta Pazza ( La Folle supposée ) . Mais bien vite le public se lasse d’entendre parler italien. Le pauvre Riccoboni renouvelle son affiche à un rythme haletant, mais sans succès. Il aurait fallu un miracle pour que les Italiens survivent, d’autant plus que les spectacles de la foire qui attiraient le public populaire leur faisaient une concurrence redoutable.
Paris a gardé la tradition des foires qui ont vu le jour dès le Moyen Âge. La foire Saint-Germain installée dans une halleimmense s’ouvre chaque année le 3 février et ferme le dimanche des Rameaux. Parfois, le roi donne la permission de la prolonger de quelques jours ou quelques semaines. On y croise des aristocrates en goguette, de solennels bourgeois, des artisans, des manouvriers, des laquais, des filles galantes… et aussi pas mal de tire-laine parfaitement heureux au milieu de cette foule très occupée à regarder les étalages, car on vend de tout à la foire Saint-Germain. Lingers, épiciers, merciers, bijoutiers, orfèvres, chapeliers, bottiers, oiseliers, parcheminiers, marchands de jouets, sculpteurs, marchands d’orviétan… font l’article à leur devanture. La foire, c’est aussi le paradis des saltimbanques et des bateleurs en tout genre. En été, du 1 er juillet au 29 septembre, on se précipite à la foire Saint-Laurent entre les rues du Faubourg-Saint-Martin et du Faubourg-Saint-Denis. On y retrouve des marchands de toutes sortes, mais aussi les spectacles des frèresAllard où se mêlent exercices acrobatiques, danses, apparitions de magiciens entremêlés de dialogues. Ils s’étaient emparés du répertoire des Italiens lorsque ceux-ci furent frappés d’exil et avaient construit eux-mêmes un vrai théâtre. Leur succès est considérable – on y a même vu le Régent – et fait de l’ombre aux malheureux Italiens.
1 - Correspondance de Madame la duchesse d’Orléans , t. I, p. 361, lettre du 23 décembre 1717.
2 - Les parlementaires.
3 - Mme de Maintenon.
4 - Le cardinal de Noailles.
5 - Cité par René Pomeau (dir.), Voltaire en son temps , t. I, Paris, Fayard, 1995, p. 70.
6 - Correspondance de Madame la duchesse d’Orléans , t. I, 13 novembre 1716, p. 281.
7 - À cette époque, la Lorraine n’est pas française.
8 - Cité par Guy Chaussinand-Nogaret, Le Cardinal Dubois , Paris, Perrin, 2000, p. 61.
9 - En 1689, Louis XIV avait accueilli à Saint-Germain-en-Laye le roi Jacques II Stuart chassé d’Angleterre à l’issue de la « glorieuse révolution ». Depuis lors, une véritable cour s’y était maintenue.
10 - Aujourd’hui, rue de l’Ancienne-Comédie. Au n° 14, on peut encore voir le fronton triangulaire orné d’une Minerve .
Chapitre III
Beaucoup de bruit pour rien
Le roi passe aux hommes
Sept ans ! Le roi a sept ans, l’âge de raison, le moment de « passer aux hommes » comme le veut la coutume chez les princes. Le 1 er février 1717, Mme deVentadour l’a conduit devant M. leRégent et l’a mis complètement nu afin qu’il soit examiné par les médecins et les chirurgiens en présence de la famille royale et de nombreux courtisans. Cette antique cérémonie doit permettre de constater publiquement que l’enfant est en bonne santé et parfaitement constitué. Le roi s’est soumis à ce rituel sans mot dire. On l’a rhabillé de neuf et il est reparti dans ses appartements avec sa gouvernante qui l’avait préparé à cette épreuve.
Le 13 février, on lui a enlevé ses lisières, ces deux liens passés autour de la taille et qui se poursuivent comme deux rênes afin de le retenir au cas où il risquerait de tomber.
Le 15 février, jour de son anniversaire,Louis XV s’est levé très joyeux. Il sait qu’une vie nouvelle s’ouvre devant lui, celle d’un jeune adulte qu’on va former au métier de roi. Ce métier sera-t-il aussi « délicieux » que le disait sonarrière-grand-père ? Sans doute le jeune monarque ne se pose-t-il pas la question. Il est roi et il
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