Le temps des illusions
de justice devient de plus en plus impopulaire. Depuis un certain temps, le Régent songe à la création d’une banque afin de stimuler le crédit. L’idée a déjà été suggérée du temps du feu roi par le banquier SamuelBernard, mais le projet est resté sans suite. À la même époque, un certain JohnLaw qui élabore des théories audacieuses sur l’économie, les finances et le commerce est entré en relation avec le duc d’Orléans. Il a voulu le convaincre de l’importance du crédit pour le développement du commerce et des richesses du royaume, ce qui implique la création d’une banque émettant du papier-monnaie. Philippe d’Orléans a longtemps hésité à faire appel à cet Écossais qui développe des théories intéressantes mais qui peuvent entraîner de gros risques.
John Law est un séducteur, un homme de plaisir qui joue dans la vie comme il joue au pharaon. Il court au-devant des événements, les suscite, multiplie les initiatives et croit à la chance. Son passé a de quoi inquiéter les plus sages conseillers du prince. Après avoir dilapidé l’héritage de son père, orfèvre à Édimbourg, il a vécu du jeu (les mauvaises langues disent qu’il a commis des filouteries). Condamné à mort en 1694 pour avoir tué en duel un jeune officier anglais, gracié mais resté en prison, il s’est évadé et a trouvé refuge en France. Son origine a plaidé en sa faveur auprès du prétendantStuart. À la cour de Saint-Germain 9 , il a enlevé la sœur de Lord Bunbery et ils sont partis ensemble pour l’Italie. Ils ont voyagé dans toute l’Europe, fréquentant les boutiques des changeurs, les banques et les tripots. Au cours de cette longue cavalcade, John Law a réfléchi aux mécanismes monétaires et à leur incidence sur l’économie des États dont la richesse repose sur la terre, l’industrie, le commerce et la population. Il estime qu’il faut un fluide pour les entraîner : le numéraire. « La monnaie est dans l’État ce que le sang est au corps humain a-t-il écrit auRégent ; sans l’un on ne saurait vivre, sans l’autre, on ne saurait agir. La circulation est nécessaire à l’un comme à l’autre. » Il est persuadé de pouvoir relancer l’économie du royaume par la circulation de billets émis par un organisme bancaire.
Cette fois, M. le Régent s’est laissé convaincre. Il a parlé des projets deLaw au Conseil des finances qui les a acceptés. Le 2 mai 1716, des lettres patentes lui ont donné l’autorisation de créer sa banque. Il s’est aussitôt installé rue Saint-Avoye dans l’hôtel de Mesmes qu’il loue à cette famille. On ne reconnaît plus l’intérieur de cette belle demeure. Une salle immense où sont disposés plusieurs comptoirs accueille les clients qui déposent leur or ou leur argent contre des billets. Ceux qui rapporteront des billets recevront de l’or ou de l’argent en échange. Pour l’instant, on s’intéresse à cette entreprise novatrice, mais on se demande comment la banque pourra faire des bénéfices puisque son activité apparente consiste à échanger des billets contre de l’argent. Le profit proviendra des opérations d’escompte et, surtout, des opérations de change. Mais en utilisant les fonds remis à la banque pour opérer sur l’escompte et sur le change, M. Law risque d’être exposé à des retraits soudains auxquels il ne pourra pas faire face. M. Rouillé du Coudray, proche collaborateur du duc deNoailles, a mis en garde le Régent contre ce danger, rappelant que les particuliers préfèreraient toujours l’argent comptant à des billets. MaisLaw est persuadé que lorsque le public aura pris l’habitude d’utiliser des billets plutôt que du numéraire, la circulation pourra être supérieure à l’encaisse. Il a une telle foi dans le crédit qu’il n’imagine pas qu’on puisse cesser d’en obtenir de nouvelles ressources.
Law a promis au Régent de réduire la dette de l’État, mais il est resté assez vague sur les méthodes qu’il emploiera. Il lui a dit que c’était là son secret. Tout laisse à penser qu’il vient de le dévoiler. Le 7 octobre, il a obtenu du Conseil des finances que les receveurs des impôts acquittent sur leurs fonds tous les billets qui leur seront présentés (autrement dit les reconnaissances de dettes de l’État qui traînent dans le public depuis la fin de la dernière guerre) et qu’ils remettent ensuite leurs recettes sous forme de billets à
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